Quand ses voisins mettent la pression, la cellule prend son destin en main

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L’émergence des formes est l’un des moments les plus fascinants de l’embryogenèse. Elle repose sur une orchestration précise où les cellules ajustent leur géométrie et coordonnent leurs comportements pour sculpter les futurs tissus. Dans un article paru dans Cell Reports des scientifiques montrent comment la pression exercée par les tissus voisins guide la formation des plis dans la patte de la drosophile en cours de formation. 

Quand la pression du tissu façonne la patte de la mouche

Pendant le développement embryonnaire, et plus précisément au cours de la morphogenèse, la patte de drosophile, une petite mouche très utilisée en recherche, est formée d’un tissu en forme de cylindre constitué de cellules épithéliales, c’est-à-dire des cellules jointives qui servent à compartimenter les tissus. Au début de la formation des articulations, ce tissu se plie pour créer les futurs segments de la patte. Des travaux précédents avaient montré que la mort programmée de certaines cellules (appelée apoptose) dans la zone du futur pli génère les forces mécaniques nécessaires à cette courbure.

Mais toutes les cellules ne passent pas à l’action et seul un sous-ensemble va mourir.

Dans une étude publiée dans la revue Cell Reports, des scientifiques ont étudié l’influence de la compression, c’est-à-dire la pression exercée sur la patte par les tissus voisins, afin de comprendre ce qui déclenche la mort de ces cellules.

Ils ont observé que la patte en croissance est entourée d’un autre tissu épithélial. En retirant ce tissu externe, ils ont constaté que la patte s’allongeait et que les plis se formaient mal : un signe que cette enveloppe exerce une pression indispensable à la formation du pli. En comparant différents niveaux de compression, (surcompression, compression naturelle et pas de compression) ils ont montré que plus la compression est élevée, plus la mort cellulaire est stimulée.

Un rôle majeur des membranes latérales par l’intermédiaire d’un canal Piezo

Pour comprendre comment les cellules « sentent » cette compression, les scientifiques ont utilisé deux techniques :

  • Un senseur de tension membranaire, observé grâce à la microscopie biphotonique, une technique d’imagerie qui permet d’observer en profondeur des molécules sur un tissu vivant.
  • Des pinces optiques, qui utilisent un faisceau laser pour manipuler des structures microscopiques.

Ils ont découvert que la pression extérieure augmente la tension sur les membranes latérales des cellules. Grâce à des modifications génétiques et à la microscopie confocale (une autre technique d’imagerie précise), ils ont montré que Piezo, une protéine qui forme un canal qui s’ouvre sous tension pour laisser passer des ions, est essentielle pour que la cellule perçoive la compression et déclenche l’apoptose.

Ces travaux mettent en évidence le rôle déterminant des membranes latérales des cellules épithéliales dans la perception des signaux mécaniques, longtemps négligé au profit de la surface cellulaire, c’est-à-dire le sommet des cellules, plus facile d’accès. Ils soulignent également que la morphogenèse ne peut être comprise qu’en considérant la cellule dans son environnement tissulaire élargi, où les interactions mécaniques entre tissus s’avèrent importantes pour le développement en participant aux signaux qui régulent le destin cellulaire.

Au-delà du développement, ces résultats pourraient aider à comprendre comment les tumeurs, qui se développent dans des environnements contraints, sont impactées par les tissus environnants. 

© Merle et Suzanne

Figure : La compression des cellules induite par les tissus environnants induit leur apoptose qui permet la formation de l’articulation de la patte de drosophile. Zoom : Voie de l’apoptose mécanosensible. La compression augmente la tension des membranes latérales, activant la voie Piezo et l’apoptose. 

En savoir plus : Merle T, Cazales M, Mangeat T, Bouzignac R, Proag A, Ronsin B, Rouvière C, Pitot E, Suzanne M. Compressive stress drives morphogenetic apoptosis through lateral tension and Piezo. Cell Rep. 2025 Sep 23;44(9):116161. doi: 10.1016/j.celrep.2025.116161. Epub 2025 Aug 19. PMID: 40833850.

Contact

Magali Suzanne
Directrice de recherche CNRS au Centre de biologie intégrative (CBI)

Laboratoire

Unité de biologie moléculaire, cellulaire et du développement – MCD (CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier)
Centre de Biologie Intégrative - CBI
Université Paul Sabatier - Bât. 4R4
169 Avenue Marianne Grunberg-Manago
31062 Toulouse Cedex 9