Les massages sont aussi bénéfiques en biologie cellulaire
La mécanobiologie étudie l'impact des contraintes mécaniques sur les tissus. Cette nouvelle discipline ouvre des perspectives pour optimiser la prise en charge de pathologies chroniques, ainsi que pour améliorer l'ingénierie tissulaire, enjeux majeurs en médecine moderne. En étudiant l'allongement des jonctions épithéliales chez l'embryon du nématode Caenorhabditis elegans, des scientifiques, dans un article publié dans Developmental Cell, apportent un nouvel éclairage à notre compréhension de la mécanobiologie.
Quand les forces mécaniques sculptent l’embryon
Lors du développement embryonnaire, les cellules s’organisent dans l’espace en migrant, en se déformant et en se « collant » entre semblables. Ces processus biologiques varient selon la forme des organes (épithélium plat, poche comme l’estomac, tube intestinal, épithélium ramifié tel le poumon), mais obéissent toujours aux mêmes lois, dites de la physique de la matière molle et de la physique biologique, plutôt qu’à celles de la chimie.
Chez l’adulte, les tumeurs et certaines pathologies comme la fibrose modifient la rigidité des tissus, pouvant induire leur dispersion ou modifier leur fonction. Ces processus reposent sur les mêmes forces physiques que dans l’embryon, justifiant l’étude de modèles simples et transparents comme le ver Caenorhabditis elegans, la mouche Drosophilia melanogaster ou le poisson Danio rerio.
Des déformations mécaniques répétées allongent les jonctions
Fort d’une longue expérience dans l’étude des forces responsables des changements de forme cellulaire influençant les processus biologiques essentiels de la cellule, des scientifiques, dans un article publié dans la revue Developmental Cell, ont percé les mystères de la réorganisation des jonctions épithéliales. Ils ont suivi, chez Caenorhabditis elegans, l’évolution des jonctions adhérentes entre cellules épithéliales par imagerie rapide, révélant que les micro-contractions de muscles sous-jacents font tourner l’embryon dans sa coquille, déformant ainsi légèrement les jonctions. Ces contractions stimulent l’insertion d’un composant transmembranaire clé des jonctions, l’E-cadhérine, qui s’accumule préférentiellement le long des jonctions orientées le long de l’axe antéro-postérieur (AP). De plus, une modélisation physique indique que l’accumulation d’E-cadhérine dans l’axe AP favorise leur allongement. Ensemble, ces observations suggèrent que les déformations répétées allongent les jonctions.
Ces résultats ont une portée générale en mécanobiologie. Ils montrent d’abord que la réorganisation des jonctions repose sur de petits stimuli répétés par déformation, qui favorisent le transport de l’E-cadhérine. Ensuite, les lois de la physique expliquent comment ce flux oriente l’allongement des jonctions de manière polarisée dans l’embryon.
Vers des applications en ingénierie des tissus
Ces résultats offrent deux enseignements majeurs en médecine humaine. D’une part, la plupart de nos organes associent des cellules épithéliales et des cellules musculaires lisses contractiles, comme l’estomac, l’intestin ou le poumon. Il est donc possible que des contractions répétées de ces cellules influencent la réorganisation des tissus, notamment lors de blessures ou dans le développement tumoral. D’autre part, la médecine régénérative explore la création de mini-organes synthétiques à partir de cellules reprogrammées. Le succès de ces stratégies dites d’ingénierie tissulaire repose sur la capacité à reproduire fidèlement l’architecture spatiale des organes, essentielle à leur fonction (par exemple, un intestin non tubulaire serait inutilisable). La compréhension des lois de la mécanobiologie constitue ainsi un levier clé pour faire avancer l’ingénierie tissulaire.

Figure : Les contractions alternées de quatre rangées de muscles (deux représentées) engendrent une rotation de l'embryon et déforment les jonctions (schéma supérieur). Les déformations des jonctions et l'augmentation de la tension stimulent le renouvellement de l’E-cadhérine (schéma médian). Un modèle mécano-chimique montre que l'activité musculaire promeut l’extension des jonctions le long de l’axe AP (schéma inférieur). Les muscles agissent comme un dispositif d'étirement des tissus, une source d'inspiration pour l'ingénierie des organes sur puce.
Référence : Repeated extrinsic and anisotropic tension inputs promote polarized adherens junction extension by X. Yang*, T. Ferraro*, K. Molnar, J. Pontabry, S-R. Malanda, N. Maghelli, L. Royer, S. W. Grill, G. Myers, S. Grigolon and M. Labouesse (*co-first).
Developmental Cell, 2 juillet 2025, DOI : https://doi.org/10.1016/j.devcel.2025.06.012
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