Les mousses révèlent le secret de leur forme

La biologie pour tous Biologie végétale

Dans un article publié dans Current Biology, des scientifiques explorent comment l’auxine, une hormone végétale, voyage dans la tige d’une mousse pour façonner son architecture. Chez les plantes vasculaires, comme la plupart des herbes ou des arbres, on sait depuis plusieurs décennies que l’auxine est transportée de façon active entre cellules grâce à des pompes moléculaires dédiées. L’étude révèle que, chez la mousse Physcomitrium patens, un mécanisme de diffusion de l’auxine beaucoup plus simple est suffisant pour expliquer comment se forme l’architecture, soulignant l’originalité évolutive de cette branche du vivant.

L’auxine, architecte moléculaire de la forme des plantes

Les plantes présentent une incroyable diversité de formes. Certaines sont hautes et élancées, d’autres basses et très ramifiées. L’une des raisons de cette différence réside dans la manière dont elles organisent la croissance de leurs branches. Ce processus est contrôlé par une hormone, l’auxine.

L’auxine agit un peu comme un repère de position : elle est produite à différents endroits de la plante – au sommet et à la base des tiges et dans les branches – et crée le long de la tige des zones d’inhibition, c’est-à-dire des endroits où la formation de nouvelles branches est bloquée. L’espacement entre ces zones détermine en grande partie la forme générale de la plante.

Chez les plantes vasculaires, l’auxine circule activement grâce à des petites pompes moléculaires qui dirigent son transport dans une seule direction. Mais chez les mousses comme Physcomitrium patens, ce système semble beaucoup moins important. Des études génétiques avaient déjà montré que le transport de l’auxine par ces pompes joue un rôle limité dans la façon dont ces plantes se ramifient. Cela posait donc une question :

Comment les mousses parviennent malgré tout à organiser leurs branches avec une telle précision ?

Chez la mousse, une simple diffusion de l’auxine suffit à façonner la structure des tiges

Dans une étude publiée dans la revue Current Biology, les scientifiques ont combiné plusieurs approches : microscopie électronique, expériences génétiques et modélisation biophysique pour répondre à cette question. Ils ont d’abord mesuré la densité des plasmodesmes, de minuscules canaux qui relient les cellules entre elles, puis ont intégré ces données dans un modèle informatique 3D représentant une tige feuillue de mousse.

Les simulations ont révélé que, contrairement aux plantes vasculaires où l’auxine circule rapidement, chez les mousses une simple diffusion lente de cette hormone de cellule en cellule suffit à reproduire les zones d’inhibition observées en laboratoire. Les tests génétiques ont confirmé cette idée : en modifiant la perméabilité des plasmodesmes (autrement dit, la facilité avec laquelle l’auxine y circule), les chercheurs ont pu prévoir et observer des changements dans l’espacement des branches.

Ce résultat est surprenant : en général, la diffusion seule ne suffit pas à créer des motifs de développement stables sur de grandes distances. Comment expliquer cette exception ? L’étude montre que la robustesse du motif de ramification augmente au fur et à mesure que la plante grandit. Le modèle informatique suggère que cela vient de l’épaississement progressif de la tige et de la disposition en spirale des feuilles, deux éléments qui influencent la façon dont l’auxine diffuse et où les branches apparaissent.

En résumé, ce travail montre qu’un mécanisme simple comme la diffusion, combiné à la géométrie et à la croissance de la plante, peut suffire à produire une structure stable et organisée. Cela révèle une stratégie de régulation différente de celle des plantes vasculaires et souligne l’originalité évolutive des mousses.

Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives pour comprendre comment les formes des plantes ont évolué et se sont diversifiées depuis leur apparition sur Terre, il y a plus de 500 millions d’années.

© Jeanne Abitbol-Spangaro

Figure : 

A : Tige feuillée de la mousse Physcomitrium patens. La barre d’échelle représente une longueur de 1 millimètre.

B : Même plante qu’en A mais dont les feuilles de la tige principale ont été enlevées pour révéler la position des branches latérales (astérisques).

C/D : Modèle informatique d’une portion de tige de mousse en 3D, sans les feuilles, montrant la densité des plasmodesmes (C) et la concentration relative d’auxine (D) autour de l’endroit (cellules rouges en C) où se forme une branche. Les polygones représentent les cellules.

En savoir plus : Abitbol-Spangaro J, Cloarec G, Muller A, Hallet S, Boulogne C, Gillet C, Schmidt V, Dobrev PI, Skokan R, Couvreur V, de Keijzer J, Godin C, Coudert Y. Robust branch patterning in moss shoots via symplasmic auxin diffusion. Curr Biol. 2025 Oct 7:S0960-9822(25)01201-1. doi: 10.1016/j.cub.2025.09.031. Epub ahead of print. PMID: 41061699.

Contact

Yoan Coudert
Chargé de recherche CNRS
Christophe Godin
Directeur de recherche Inria

Laboratoire

Reproduction et développement des plantes - RDP (CNRS/ENS Lyon/Inrae)
ENS de lyon
46, Allée d'Italie 69364 
LYON Cedex 07 FRANCE