La forme de la bactérie : un élément clé de la synergie entre phages et antibiotiques

Focus recherche Microbiologie

En thérapie, phages et antibiotiques sont souvent combinés pour lutter contre les bactéries multirésistantes. 
Dans un article publié dans PLoS Pathogens, des scientifiques révèlent comment certains antibiotiques, en modifiant la forme des bactéries, facilitent l’action des virus qui les attaquent. Ces découvertes permettent de mieux comprendre la synergie entre antibiotiques et phages et d’envisager de nouveaux traitements contre les infections résistantes.

La phagothérapie pour renforcer l’action des antibiotiques

Face à la menace croissante des infections résistantes aux antibiotiques, la phagothérapie, qui consiste à utiliser des virus spécifiques de bactéries appelés bactériophages, suscite un regain d’intérêt. Ces virus ont la capacité naturelle d’infecter et de détruire des bactéries spécifiques. 

Dans les traitements compassionnels, il est possible d’associer antibiotiques et bactériophages, mais leurs interactions restent mal comprises. Pour un usage thérapeutique optimal, il est donc nécessaire de mieux connaître l’effet des antibiotiques sur la prédation exercée par les phages. Une question importante se pose alors : comment ces deux antibactériens peuvent-ils agir en synergie ?

Quand les antibiotiques favorisent l’action des phages

Lorsqu’un phage infecte des bactéries sur une surface solide (comme une boîte de Petri), il crée des zones claires, appelées « plages de lyse », où les bactéries ont été détruites. La taille et la vitesse d’expansion de ces plaques dépendent de nombreux facteurs : le type de phage, la consistance du milieu mais aussi l’état physiologique des bactéries hôtes.

Différentes études ont montré que certains antibiotiques utilisés à faible dose, favorisent la propagation de l’épidémie par les phages, un phénomène appelé synergie phage-antibiotique (PAS). 

Ces travaux, publiés dans la revue PLoS Pathogens, révèlent que cet effet provient de deux types de modifications de la forme des bactéries induites par les antibiotiques : 

  • certains provoquent la filamentation des cellules, allongeant leur forme et augmentant la probabilité de rencontres entre phages et bactéries,
  • d’autres rendent les cellules plus rondes, facilitant ainsi la diffusion des phages dans le milieu.

Afin de mimer les modifications de morphologie observées en présence d’antibiotiques les scientifiques ont utilisé la technologie dCas9, une version modifiée du système CRISPR-Cas9 qui empêche l’expression des gènes ciblés sans couper l’ADN. Cette approche a permis de modifier la morphologie cellulaire de façon contrôlée et de montrer que la forme des bactéries joue un rôle clé dans l’efficacité de la prédation par deux phages modèles (T5 et T7) infectant la bactérie Escherichia coli : les cellules filamenteuses produisent notamment davantage de virions infectieux par cellule. 

L’observation dynamique de la formation des plages de lyse a également permis de développer un modèle mathématique décrivant comment les changements de morphologie influencent la vitesse et la taille des zones de lyse. Ce modèle peut simuler différentes conditions expérimentales et prédire l’efficacité de la prédation en fonction de la physiologie des bactéries hôtes. 

Ces résultats ouvrent la voie à une meilleure compréhension des synergies entre  phages et antibiotiques et pourraient permettre à terme de concevoir des traitements combinés plus efficaces contre les infections bactériennes multirésistantes. 

© Phages_LCB et CC-BY

Figure : La taille des plages de lyse est corrélée à l’effet de certains antibiotiques sur la morphologie bactérienne. (Gauche) Microscopie à contraste de phase de microcolonies d'E. coli piégées en milieu semi-solide, en présence de concentrations sublétales d'antibiotiques. (Droite) La taille des plages de lyse produites par le phage T5 sur E. coli MG1655 augmente en présence de doses sublétales de certains antibiotiques qui affectent la morphologie des cellules. Ciprofloxacin (Cp), ceftazidime (Cz), mecillinam (Mc), chloramphenicol (Cm), kanamycin (Km).

En savoir plus : Bulssico J, Panigrahi S, Matveeva M, Ginet N, Ansaldi M. Antibiotic-induced morphological changes enhance phage predation. PLoS Pathog. 2025 Oct 3;21(10):e1013546. doi: 10.1371/journal.ppat.1013546. PMID: 41042833; PMCID: PMC12510666.

Contact

Mireille Ansaldi
Directrice de recherche CNRS

Laboratoire

Laboratoire de chimie bactérienne - LCB (CNRS/Aix-Marseille Université)
31 Chemin Joseph Aiguier
13009 Marseille