Une brève histoire du programme ATIP-Avenir

Institutionnel

Le 25 Novembre 2019 au Collège de France à Paris se déroula le 10ème anniversaire du programme ATIP-Avenir. Lors de son allocution, Daniel Louvard (Directeur de recherche émérite CNRS, Directeur honoraire Institut Curie et Membre de l’Académie des sciences) retraça symboliquement une brève histoire du programme ATIP-avenir.

 

Pour en savoir plus sur le programme ATIP-Avenir : https://www.insb.cnrs.fr/fr/atip-avenir

En partenariat avec l'Inserm : https://web.inserm.net/atip-avenir/

 

La genèse

Lorsque je retournai en France après un post-doc aux USA dans le Laboratoire de JS. Singer (UCSD, La Jolla), puis à l’EMBL où je fus chef d’équipe de 1978 à 1982, je fis le constat qu’il n’existait pas en France de programme national pour faciliter l’émergence des jeunes chefs d’équipe ambitieux et prometteurs. Quel contraste avec mon vécu aux USA et à l’EMBL ! Aux USA les post-doctorants brillants peuvent postuler dans une Université pour obtenir un poste de Professeur Assistant assorti d’un projet de carrière que l’on nomme « tenure track » et peuvent également postuler pour un contrat de recherche très compétitif.

En Europe dans plusieurs universités prestigieuses ou dans quelques instituts de recherche renommés, un système semblable à celui existant aux USA permet aux jeunes chercheurs de démarrer une équipe. A l’EMBL Heidelberg, j’ai eu la chance de mettre en œuvre un projet de recherche en toute indépendance. Mon projet de recherche retenu par le conseil scientifique m’a permis de créer ainsi ma première équipe. J’avais alors 30 ans… J’ai choisi de poursuivre mes recherches à l’EMBL, créé en 1974, parce que je préférais effectuer mes recherches dans un centre de recherche qui me permettait de créer une équipe plutôt que de rentrer en France et de devoir intégrer une équipe existante.

Dès 1983, alors que je dirigeais une unité de recherche à l’Institut Pasteur, je pris l’initiative de proposer un projet à la direction du Département des sciences biologiques du CNRS. J’étais convaincu que ce projet pourrait changer une situation décourageante pour de nombreux jeunes post-doctorants que j’avais rencontrés à mon retour en France après un post-doc à l’étranger. Je sollicitai un rendez-vous auprès du directeur du Département des sciences biologiques du CNRS, le Professeur Roger Monier puis son successeur le Professeur Jacques Demaille. Cependant, mes plaidoiries pour un programme dédié à la création de groupes juniors n’aboutirent pas. Je poursuivis néanmoins cette idée et rencontra Claude Paoletti, successeur de Jacques Demaille.

Lors de notre premier rendez-vous, Claude Paoletti montra un intérêt pour ce projet et nous définîmes ensemble les règles fondatrices pour mettre en œuvre un programme qui devait faciliter le retour des post-doctorants en France, ou encore l’émergence de jeunes chercheurs ayant un poste au CNRS. Mon idée initiale s’appuyait sur deux objectifs complémentaires, véritables supports concrets du projet : la recherche et l’enseignement. Dès mon retour en France, j’avais pu constater que mon domaine de recherche, la biologie cellulaire, n’avait pas évolué de la même manière qu’aux USA ou que dans plusieurs pays européens comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays Bas ou les pays scandinaves. Dans ces pays, la biologie cellulaire s’était transmuée en biologie moléculaire de la cellule. Une nouvelle discipline était née dans laquelle cytologie, biochimie, biologie moléculaire, génétique, et biophysique eurent leur place et se combinèrent pour comprendre les mécanismes moléculaires du fonctionnement des cellules puis, plus tard, celui d’ensembles organisés de cellules (la biologie du développement).

Remarquons que la première édition du manuel de Bruce Alberts et ses collaborateurs Molecular Biology of the Cell  venait de paraitre en 1983 tandis que l’édition en français dut attendre 2008 !

Ma frustration devant ce constat fut un moteur puissant qui m’incita à encourager des jeunes chercheurs à se former à l’étranger. Je me suis aussi investi dans les enseignements de 3ème cycle de cette discipline renouvelée grâce aux technologies de pointe en biologie moléculaire, biochimie et imagerie cellulaire. C’est ainsi que j’ai enseigné dans plusieurs DEA parisiens et de province et ai créé le cours de biologie moléculaire de la cellule de l’Institut Pasteur avec Alice Dautry, avec la participation des Professeurs André Adoutte et Michel Jacquet, responsables d’enseignement de DEA à l’Université d’Orsay. Depuis sa création, ce cours toujours actif a accueilli plus de 600 étudiants.

Nombreux furent les jeunes chercheurs formés dans ce domaine qui souhaitaient créer une équipe indépendante. J’ai donc proposé à Claude Paoletti de commencer avec un programme de création d’équipe junior pour soutenir des recherches de haut niveau et innovantes en biologie cellulaire. Je lui ai suggéré de bâtir ce programme selon les règles suivantes :

  1. Appel d’offre national ouvert aux jeunes chercheurs statutaires et aux post-doctorants désireux d’intégrer le CNRS
     
  2. Les candidats devraient proposer un projet de recherche rédigé en anglais car un comité international serait mis en place pour évaluer les candidats et classer les meilleurs projets. De fait, les dossiers ont été bilingues au début car nous devions respecter les recommandations de défense de la langue française.
     
  3. Les équipes retenues devraient mettre en œuvre leur projet dans un laboratoire labellisé par le CNRS différent de celui dans lequel le candidat avait effectué sa thèse. Cette règle devrait s’appliquer aussi aux chercheurs statutaires qui devraient quitter le laboratoire dans lequel ils effectuaient leur recherche pour entreprendre leur projet dans un laboratoire d’accueil. Cette mesure contraignante encourageait la mobilité en début de carrière et obligeait les candidats à trouver un laboratoire d’accueil, elle permettait aussi de lutter contre les habitudes de consanguinité fréquentes dans nos instituts de recherche. Cette condition fut parfois difficile à remplir mais elle fut appliquée à la quasi-unanimité au moins au début du programme.
     
  4. Le laboratoire d’accueil s’engagerait à mettre à la disposition de l’équipe des espaces fonctionnels pour loger une équipe de 4-6 personnes (environ 50m2) et l’accès aux infrastructures nécessaires à la réussite du programme.
     
  5. Une dotation dont le fonctionnement serait effectif 3 ans. Actuellement, le contrat est pour 3 ans prolongeables de 2 ans. Les moyens mis à la disposition du lauréat seraient sous sa responsabilité et seraient gérés indépendamment des crédits de l’unité ou du département auquel est rattachée l’équipe. De plus, la Direction des sciences biologiques tiendrait compte des effectifs de cette équipe dans l’attribution de la dotation annuelle de l’unité, de telle sorte que l’équipe contribuerait ainsi aux charges générales de l’unité.

Comme vous pouvez l’imaginer, surtout au début, ces règles n’ont pas souvent été accueillies avec enthousiasme, ni par les directeurs d’unités de recherche et les directeurs d’instituts, ni par de nombreux membres des commissions sections du comité national.

En résumé, ce dispositif mettait en place un concours compétitif sur projet avec pour objectif de soutenir un domaine de recherche prioritaire et stratégique via la création de nouvelles équipes animées par des jeunes chercheurs prometteurs.

Claude Paoletti, bien qu’enthousiaste, avait des doutes quant à la réussite de ce programme. Pourquoi ? Parce qu’il y avait quelques obstacles culturels à surmonter :

  1. Un profond changement des critères d’évaluation et de recrutement des responsables d’équipe s’annonçait, via la mise en place de jury d’experts de renommée internationale.
     
  2. Faire confiance à des jeunes responsables sans expérience de la direction d’une équipe.
     
  3. Confier des moyens à des post-doctorants qui n’avaient pas encore acquis le statut de chercheur dans un organisme de recherche.
     
  4. Ils devraient se présenter au concours de recrutement et respecter un calendrier contraignant puis convaincre les commissions sections de l’originalité et de la faisabilité de leur projet pour un recrutement au CNRS.

Nous savons combien nos concitoyens peuvent manifester une résistance aux changements !

 

La mise en œuvre

La mise en place par la direction du Département des sciences biologiques du CNRS de ce programme a commencé en 1988. Les premiers lauréats ont été proposés à la direction du CNRS à l’issue d’une réunion du comité international qui s’est tenu au siège du CNRS, Quai Anatole France, le 21 décembre 1989.

Le premier comité était constitué d’experts, pour moitié de scientifiques français et pour moitié d’experts étrangers mondialement connus pour leurs travaux en biologie moléculaire et cellulaire. Permettez-moi d’en citer quelques-uns :

  • Deux futurs Prix Nobel : Paul Nurse (ICRF Londres UK) et James Rothman (Uni. Princeton USA) 

Mais aussi :

  • Klaus Weber (Max Planck Gottingen), Uno Lindberg (Karolinska Stockholm), Kai Simons (EMBL, Heidelberg), Colin Hopkins (MRC College Londres) etc.

Et nos collègues français :

  • Michel Bornens, JeanAntoine Lepesant, Alain Prochiantz, Jacques Pouyssegur, tous directeurs de recherche au CNRS et jouissant d’une reconnaissance internationale.

Lorsque j’ai proposé ces noms à Claude Paoletti pour constituer le comité, il me répondit : « C’est très impressionnant ! Mais viendront-ils pour évaluer les dossiers de jeunes chercheurs ? »

Finalement, tous vinrent.

Claude Paoletti commenta après la première réunion : « C’est très bien mais reviendront-ils l’année prochaine ? »

Tous sont revenus pendant plusieurs années de suite.

Ayant présidé le comité de l’ATIPE Biologie cellulaire pendant 7 ans, je savais que tous les experts étrangers souhaitaient nous aider et surtout, tous pensaient que c’était important pour l’avenir de la discipline et de la recherche en France. D’autres comités ont ensuite été mis en place selon les mêmes principes et mêmes règles pour d’autres disciplines. Par exemple : biologie du développement, puis microbiologie etc. Quelques années plus tard, le Directeur général de l’Inserm créa un programme similaire, le programme Avenir.

 

Le constat

 Voilà maintenant dix ans qu’à ma grande satisfaction, les deux programmes se sont réunis en une action commune. C’est cet événement que nous célébrons aujourd’hui.

Je sais combien ces programmes ont impacté les recherches des sciences de la vie au CNRS et la recherche biomédicale à l’Inserm. On doit s’en réjouir et rendre hommage à Claude Paoletti qui a compris, il y a trente ans, que ce programme était devenu indispensable pour permettre à des chercheurs ambitieux et talentueux d’exprimer leurs idées en s’engageant librement dans des voies non dénuées de risques et porteuses d’espoir.

On peut légitiment se poser la question suivante : que seraient devenues ces disciplines sans le soutien d’un programme ATIP ?

Entre 1990 et 1997 : 64 équipes ATIP ont été créés par le CNRS. La quasi-totalité des équipes créées ont réussi leur pari et très nombreuses et nombreux sont les responsables de ces équipes qui ont poursuivi une brillante carrière dans les laboratoires du CNRS. Un contrat ATIP est un signe d’encouragement et de reconnaissance par les pairs, une porte entrouverte pour imaginer un projet de recherche bien construit, compétitif au niveau international et oser concourir. La réussite à un contrat ATIP est aussi une première étape pour concourir ensuite et gagner des contrats internationaux bien dotés financièrement, bref, un tremplin à saisir…

Je rêve du jour où les responsables du CNRS élargiront ces programmes à d’autres disciplines dans tous les domaines scientifiques. J’aimerais aussi que les règles fondatrices de ce programme soient préservées, et autant que de besoin, adaptées à l’évolution des sciences, à l’organisation des laboratoires et leur financement. Il me semble très important que les responsables des organismes de recherche soient attentifs et exigeants sur les résultats des projets financés par ces programmes.

En contrepartie, il est indispensable que les responsables mettent en œuvre les moyens nécessaires à l’intégration des chefs d’équipe dans les organismes de recherche. La confiance accordée aux porteurs de projets par les membres des comités de sélection et la pérennité du soutien des responsables des organismes sont des conditions sine qua non à la réussite de leurs projets et l’épanouissement de leur personnalité.

 

Remerciements

Qu’il me soit permis de remercier les Directions du CNRS de m’avoir confié la présidence de la première ATIPE et d’avoir soutenu les recherches de mon laboratoire à L’Institut Pasteur puis à l’Institut Curie.

Je remercie aussi les directeurs généraux de l’Inserm avec lesquels j’ai pu travailler dans divers comités et commissions et en tant que directeur du Centre de recherche de L’Institut Curie.

En 2013, directeur de recherche de classe exceptionnelle au CNRS, j’ai été invité à faire valoir mes droits à la retraite conformément à la législation en vigueur. André Syrota était alors Président directeur général de l ‘Inserm et j’ai eu le plaisir de recevoir de ses mains, dans cet amphithéâtre, le Prix d’honneur de l’Inserm, signe de reconnaissance et témoignage des liens fructueux entre le CNRS et l’Inserm.

Merci à tous, bonne chance à celles et ceux qui, avec le soutien de CNRS et de l’Inserm, s’engageront dans des projets de recherche risqués et compétitifs avec le coup d’élan apporté par un contrat ATIP-avenir.