Un rôle insoupçonné du CO2 dans le contrôle transcriptionnel de la photosynthèse

Résultats scientifiques Biologie végétale

Deux études publiées dans Nature Communications changent la vision de la régulation de la photoprotection et de la fixation photosynthétique du CO2, des processus photosynthétiques fondamentaux chez les microalgues vertes. En combinant des approches génétiques et de modélisation mathématique, les scientifiques ont démontré que les deux processus sont largement corégulés et que c'est le CO2, et non la lumière, qui est l'acteur clé de leur activation transcriptionnelle.

Le carbone est l'épine dorsale de la vie sur Terre, du fait de sa capacité à former des molécules complexes comme l'ADN et les protéines. La majeure partie du carbone terrestre est stockée dans les roches et les sédiments, le reste se trouve dans les océans, l'atmosphère et les organismes vivants, et passe constamment d'un réservoir à l'autre par le biais du processus biogéochimique appelé cycle du carbone. Les microalgues photosynthétiques sont des actrices clés du métabolisme planétaire du carbone, car elles fixent 50 % du CO2 mondial en carbone organique en utilisant la lumière comme source d'énergie, tout en produisant de l'O2.

La lumière et le CO2, tous deux essentiels à la croissance des microalgues, sont rarement disponibles à des niveaux optimaux ; pour atténuer le stress oxydatif causé par l'exposition à une lumière élevée, les microalgues activent le qE (quenching of energy), un mécanisme photoprotecteur dominant qui dissipe l'excès d'énergie lumineuse absorbée sous forme de chaleur inoffensive. Pour éviter une limitation de la croissance en cas de faible taux de CO2, les microalgues activent un mécanisme de concentration du CO2 (CCM) qui augmente le taux de CO2 au niveau du site de fixation dans les chloroplastes. Les principaux acteurs du qE sont les protéines et les pigments liés au stress de la récolte de la lumière ; les principaux composants du CCM sont les anhydrases carboniques (CAH), qui facilitent les interconversions entre les différentes espèces de carbone inorganique, et les transporteurs de carbone inorganique.

Les deux processus, qE et CCM, sont cruciaux pour la survie des microalgues ; les mutants déficients en qE ne peuvent pas survivre à une exposition à une lumière intense, et les mutants déficients en CCM ne peuvent pas croître de manière photoautotrophe à moins d'être supplémentés avec des niveaux élevés de CO2. Alors que les deux processus étaient traditionnellement étudiés séparément, les scientifiques démontrent que la qE et la CCM sont largement corégulées et partagent des régulateurs transcriptionnels communs : i. CIA5, initialement établi comme régulateur principal de la CCM et dont il est maintenant démontré qu'il est également un régulateur crucial de l'expression des gènes et des protéines de photoprotection1, ii. le facteur de transcription LCR1, initialement identifié comme régulateur de la CCM, s'avère contrôler également l'expression de la photoprotection2, iii. QER7, un facteur transcriptionnel dont la fonction est inconnue à ce jour chez Chlamydomonas, agit comme répresseur de l'expression des gènes liés à la qE et à la CCM sous le contrôle du photorécepteur de la lumière bleue, la phototropine2.

Les scientifiques ont également fait une découverte très inattendue : l'expression des gènes liés à la qE et à la CCM est largement contrôlée par la disponibilité du CO2, même en l'absence de lumière, que l'on croyait jusqu'à présent indispensable à l'activation de ces processus1. Cette découverte suggère que l'impact de la lumière sur la régulation de l'expression des gènes est souvent indirect et reflète les changements dans les niveaux intracellulaires de CO2, définis par l'équilibre entre la fixation du CO2 dans les chloroplastes et la génération de CO2 par la respiration mitochondriale. Elle ajoute également une nouvelle facette au rôle du CO2 dans les microalgues photosynthétiques : en plus d'être le substrat de la photosynthèse, le CO2 est également une molécule de signalisation qui régule l'expression des gènes en réponse aux changements de lumière et de disponibilité du CO2.

Ces découvertes nous permettent de mieux comprendre les mécanismes moléculaires qui régissent le métabolisme du CO2 photosynthétique et peuvent être utilisées pour permettre à la biosphère de réagir plus efficacement à la régulation de la concentration de CO2 dans l'atmosphère, de progresser vers une économie durable à faible teneur en carbone et d'exploiter pleinement le potentiel biotechnologique des microalgues.

Figure
© Créé par Dimitris Petroutsos ; libre de droits d'auteur.
Figure : Une augmentation de la respiration ou une diminution de la photosynthèse entraîne un taux élevé de CO2 intracellulaire, qui réprime les gènes CCM et qE en inactivant CIA5. L'exposition à la lumière forte augmente le taux de fixation du CO2, ce qui entraîne un appauvrissement en CO2 et l'activation de CIA5, qui active les gènes liés à qE et CCM. La voie CIA5-dépendante est indépendante de la lumière. La lumière a un impact sur l'expression des gènes qE et CCM par l'intermédiaire de la phototropine, qui agit comme un répresseur du facteur de transcription QER7 qui réprime à son tour les gènes CCM et qE. La voie PHOT-QER7 est indépendante de CIA5.

Pour en savoir plus :

1. Águila Ruiz-Sola M, Flori S, Yuan Y, Villain G, Sanz-Luque E, Redekop P, Tokutsu R, Küken A, Tsichla A, Kepesidis G, Allorent G, Arend M, Iacono F, Finazzi G, Hippler M, Nikoloski Z, Minagawa J, Grossman AR, Petroutsos D. Light-independent regulation of algal photoprotection by CO2 availability. Nature Communications 14,1977(2023). 
2. Arend M, Yuan Y, Águila Ruiz-Sola M, Omranian N, Nikoloski Z, Petroutsos D. Widening the landscape of transcriptional regulation of green algal photoprotection. Nature Communications 14, 2687 (2023)

Contact

Dimitris Petroutsos
Chercheur CNRS

Laboratoire

Laboratoire de physiologie cellulaire et végétale - LPCV (CNRS/CEA/INRAE/Université Grenoble Alpes)
17 rue des Martyrs
38054 Grenoble Cedex 9