Un nouveau mécanisme de génération de force permettant de sculpter les tissus

Résultats scientifiques Biologie cellulaire

Les cellules sur le point de mourir, loin d’être éliminées discrètement sans influence sur leur environnement, déforment de façon transitoire le tissu environnant et participent ainsi à la mise en place de sa forme définitive. Une étude parue dans la revue Developmental Cell révèle qu’au cours de ce processus, le noyau des cellules, en plus de son rôle protecteur du génome, sert de point d’ancrage pour la génération d’une force responsable de ce remodelage tissulaire.

La mort cellulaire programmée, ou apoptose, fut d’abord considérée comme un processus permettant de réguler le nombre de cellules. La découverte de son rôle essentiel au cours du développement par l’identification des acteurs clés impliqués dans ce processus fut une première surprise. Depuis ces découvertes pionnières, de nombreux processus développementaux se sont avérés dépendant de l’apoptose tels que l’individualisation des doigts ou la fermeture du système nerveux. On a d’abord pensé que l’apoptose n’était requise que la simple élimination de cellules dans des zones particulières suffisant à remodeler la forme globale du tissu environnant. Toutefois, des études récentes, se focalisant sur la formation d’un pli au cours du développement de la patte de Drosophile, ont montré que les cellules apoptotiques, loin d’être éliminées sans conséquences sur le tissu environnant, génèrent, avant de mourir, une force permettant de déformer les cellules voisines et d’augmenter localement la tension tissulaire.

Cette étude identifie le mécanisme cellulaire impliqué dans la génération de cette force, dernier sursaut des cellules avant de mourir. Elle révèle notamment que le noyau des cellules, garant de l’intégrité du génome qu’il renferme, est un élément clé dans la génération de cette force.

Par des expériences d’imagerie sur tissus vivants, les chercheurs ont suivi le comportement des cellules épithéliales mourantes. Ils ont observé (1) que le noyau de ces cellules se trouve stabilisé au pôle basal de la cellule, (2) que la structure contractile d’acto-myosine qui se forme le long de l’axe apico-basal de la cellule progresse de la surface apicale de l’épithélium jusqu’au noyau de la cellule, (3) que le noyau remonte lorsque cette structure se contracte et finalement, (4) que la perturbation de l’ancrage ou du positionnement du noyau empêche la force d’être transmise au tissu environnant entrainant un défaut de la forme du tissu. Lors de sa remontée, le noyau se trouve légèrement déformé et la microdissection laser de la structure contractile d’acto-myosine entraine un relâchement de la surface apicale de l’épithélium et du noyau, témoignant de leur rôle d’ancrage dans la génération de force.

L’ensemble de ces travaux démontre que le noyau des cellules, en plus de son rôle dans la protection du génome et de sa capacité à répondre aux forces mécaniques externes, constitue un point d’ancrage essentiel à la production et à la transmission d’une force mécanique, point de départ d’une réorganisation cellulaire complexe menant à l’acquisition de la forme définitive du tissu.

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Figure : Schémas et images confocales issues d’un film montrant une cellule apoptotique à différentes étapes de la génération de force. Les cellules mourantes génèrent une force dans l’axe apico-basal de la cellule à travers la formation d’une structure contractile ou câble (rouge) qui s’allonge, connecte la surface apicale au noyau (vert) lui-même connecté aux adhésions basales (violet) par un réseau d’actine (bleu), puis se contracte entrainant la remontée du noyau.

© Mégane Rayer

 

Pour en savoir plus :

Mechanical Function of the Nucleus in Force Generation during Epithelial Morphogenesis
Ambrosini A, Rayer M, Monier B, Suzanne M

Developmental Cell Published online: June 13, 2019. DOI : https://doi.org/10.1016/j.devcel.2019.05.027

Contact

Magali Suzanne
Chercheuse CNRS au Laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire du contrôle de la prolifération (LBCMCP) du CBI - (CNRS/Univ. Toulouse Paul Sabatier)
Bruno Monier
Chercheur CNRS au Laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire du contrôle de la prolifération (LBCMCP) du CBI - (CNRS/Univ. Toulouse Paul Sabatier)