Un neuropeptide-clé pour la motivation alimentaire et l’apprentissage des abeilles

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Les scientifiques ont déterminé qu’un neuropeptide appelé sNPF (‘short neuropeptide F’) est un élément clé de la régulation des conduites alimentaires des abeilles. En effet, des abeilles butineuses dont les niveaux internes de sNPF sont augmentés artificiellement montrent non seulement une appétence accrue pour la solution sucrée mais apprennent et mémorisent mieux des couleurs associées à cette récompense alimentaire. L’augmentation de sNPF change même la conduite des individus rassasiés qui se comportent alors comme s’ils étaient affamés, prouvant ainsi le rôle majeur de ce neuropeptide dans la motivation alimentaire des abeilles. Ces résultats sont publiés dans les revues iScience et Biology Letters.

L’abeille domestique est unique parmi les insectes de par son organisation sociale sophistiquée et ses capacités d’apprentissage et de mémoire remarquables déployées pendant ses activités de butinage. Afin de retourner constamment à l’espèce florale exploitée, les abeilles butineuses apprennent et mémorisent les signaux floraux associés à la récompense alimentaire de nectar et pollen. Leur comportement de butinage est au cœur de la relation millénaire qui lie les abeilles aux humains, car nous profitons non seulement de produits tels que le miel, le pollen, la propolis et la cire, entre autres, mais aussi des services de pollinisation fournis par les abeilles à l’agriculture. Ainsi, l’identification des mécanismes neuronaux qui contrôlent la motivation alimentaire des abeilles constitue un objectif stratégique, à la fois d’un point de vue scientifique et économique.

Les scientifiques ont étudié le rôle du neuropeptide sNPF dans le comportement alimentaire individuel et l’apprentissage appétitif des abeilles. Les neuropeptides sont des petites protéines formées de quelques acides aminés (jusqu'à plusieurs centaines) qui sont libérées par des neurones et agissent en tant que neuromodulateurs de nombreuses fonctions physiologiques. Afin de manipuler les niveaux de sNPF des abeilles individuelles, une méthode d’application "topique" du peptide sur le thorax des abeilles a été utilisée. Couplé à un solvant approprié, le peptide pénètre à travers la cuticule des abeilles et se retrouve dans le milieu interne, atteignant par la suite le système nerveux.

Les abeilles dont les niveaux de sNPF ont été augmentés consomment plus de solution sucrée, même en étant rassasiées. Au-delà de la consommation alimentaire, le neuropeptide affecte aussi les réponses à des stimuli sensoriels associés à la nourriture (odeurs, goûts sucrés). Ainsi, l’augmentation de sNPF détermine des réponses accrues à des odeurs florales et à des concentrations variables de sucre. Au niveau nerveux, des analyses d’imagerie calcique sur les circuits olfactifs du cerveau de l’abeille montrent un effet de sNPF sur l’activité nerveuse des neurones olfactifs : alors que l’état de satiété induit une diminution de l’activité nerveuse lors de stimulations olfactive variées, l’ajout du neuropeptide restitue l’activité nerveuse aux niveaux correspondants à ceux des animaux affamés.

Les scientifiques ont donc analysé le rôle de sNPF dans l’apprentissage appétitif des abeilles. Dans ce but, des abeilles en libre vol ont été entrainées à voler dans un labyrinthe en Y miniature dans lequel elles peuvent collecter une gouttelette de solution sucrée. Une fois entrainées, elles sont capturées et nourries avec un mélange de miel et solution sucrée afin de les rassasier. Certaines de ces abeilles subissent le traitement permettant d’augmenter leur niveau de sNPF alors que chez d’autres abeilles, il reste inchangé.  Des abeilles affamées ont également été incorporées en tant que référence pour la tâche d’apprentissage. Les abeilles sont relâchées, une à une, dans le labyrinthe, où cette fois-ci elles doivent apprendre à discriminer deux couleurs, une récompensée avec de la solution sucrée et une autre présentant de l’eau distillée. Une couleur est très saillante et facilement reconnue par les abeilles. L’autre couleur se détache à peine du fonds de présentation, ce qui rend son apprentissage difficile.

Les abeilles affamées ont bien appris la tâche dans le cas de la couleur saillante mais pas dans le cas de la couleur difficilement percevable. Les abeilles rassasiées, n’étant pas intéressées par la récompense alimentaire, n’ont appris ni l’une ni l’autre. De façon surprenante, ces mêmes abeilles avec les niveaux de sNPF augmentés apprennent non seulement la couleur saillante mais aussi la couleur peu visible, dépassant même les abeilles affamées en termes de succès. Ainsi, en augmentant la motivation alimentaire, le neuropeptide sNPF améliore les performances d’apprentissage des abeilles, les rendant plus attentives et plus efficaces dans leurs activités de butinage.

Ces résultats soulèvent de nouvelles questions passionnantes. Etant donné que les abeilles ne butinent pas pour satisfaire la faim individuelle, mais pour satisfaire les besoins de leur colonie, les niveaux de sNPF sont-ils sous contrôle de signaux sociaux ? Quels autres acteurs moléculaires interviennent dans le contrôle de la motivation alimentaire des abeilles ? Une nouvelle série d’expériences est prévue car le monde des neuropeptides des abeilles et leur influence sur leur comportement est une boîte remplie de mystères qui attendent d’être résolus.

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© Martin Giurfa & Gabriela de Brito Sanchez

Figure :  Structure du neuropeptide sNPF et les effets de concentrations croissantes.

Pour en savoir plus :
The short neuropeptide F regulates appetitive but not aversive responsiveness in a social insect.
Bestea L, Paoli M, Arrufat P, Ronsin B, Carcaud J, Sandoz JC, Velarde R, Giurfa M, de Brito Sanchez MG.
iScience. 11 décembre 2021. doi: 10.1016/j.isci.2021.103619.

The short neuropeptide F (sNPF) promotes the formation of appetitive visual memories in honey bees.
Bestea L, Briard E, Carcaud J, Sandoz JC, Velarde R, Giurfa M, de Brito Sanchez MG.
Biol Lett. 18 février 2022. doi: 10.1098/rsbl.2021.0520.

Contact

Maria Gabriela DE BRITO SANCHEZ
Ingénieure de recherche au Centre de recherches sur la cognition animale (CNRS/Université Paul Sabatier - Toulouse III)

Laboratoire

Centre de recherches sur la cognition animale (CNRS/Université Paul Sabatier - Toulouse III)
118 Route de Narbonne
31062, Toulouse cedex 9