Un dialogue plantes/champignons vieux de 420 millions d’années

Résultats scientifiques Biologie végétale

Les plantes utilisent des signaux chimiques comme véhicules d’information entre organes mais également avec les microbes qui les entourent. Par des approches de biologie comparative, de génétique et de biochimie, les scientifiques ont pu démontrer qu’un de ces signaux joue un rôle de communication avec le microbiote depuis plus de 400 million d’années, avant d’être détourné chez certaines plantes comme hormones contrôlant leur développement. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Communications.

Les plantes sont entourées d’un microbiote complexe, formé de microorganismes divers, tels que bactéries et champignons. Si certains membres de ce consortium peuvent induire des maladies, d’autres facilitent la nutrition des plantes et l’adaptation à leur milieu. Ces interactions bénéfiques, symbiotiques, avec le microbiote sont dépendantes de l’environnement. Ainsi, une plante poussant dans un milieu où toutes les ressources nutritives sont disponibles tirera un moindre bénéfice d’une interaction symbiotique qu’une plante poussant dans un environnement pauvre en nutriment. Ces interactions entre plante hôte, microbiote et environnement sont médiées par des signaux chimiques produits par la plante. Parmi ces signaux, les strigolactones représentent une famille de molécules dont la production est modulée par la disponibilité d’un nutriment essentiel à leur croissance: le phosphate. Les plantes libèrent autour de leurs racines ces strigolactones qui sont reconnues par un champignon symbiotique bien spécifique comme signal d’une disposition à échanger des ressources. Ces strigolactones induisent également des modifications dans l’architecture des plantes en réponse à ces contraintes environnementales. Cette double fonction de signal symbiotique et d’hormone régulant le développement de la plante n’a été décrit que chez un groupe de plantes terrestres, les plantes vasculaires. Si des travaux antérieurs ont montré que les autres plantes terrestres, dites non-vasculaire et qui ne possèdent ni tige ni racines, produisent des strigolactones, leur rôle restait jusqu’alors inconnu.

Dans cette étude, les scientifiques ont utilisé une plante non-vasculaire bien particulière, l’hépatique Marchantia paleacea, qui est capable de s’associer avec les mêmes champignons symbiotiques que les plantes vasculaires, puis ont inactivé par la méthode du CRISPR/Cas9 un gène essentiel à la production de strigolactones. Les plantes ainsi produites se sont montrées incapables d’interagir avec les champignons symbiotiques. Cette interaction a néanmoins pu être restaurée via un apport exogène de strigolactones. La conservation de ce mécanisme entre plantes vasculaires et plantes non-vasculaires démontre que le mode de communication entre plante et champignon est conservé chez l’ensemble des plantes, ce qui en fait un langage très ancien estimé vieux de plus de 420 million d’années, développé à l’aube des relations entre plantes et champignons et maintenu depuis. 

En revanche, les plantes de Marchantia incapables de produire des strigolactones ne montrent aucun défaut de croissance, contrairement aux plantes vasculaires déficientes dans cette molécule. Ce résultat confirme des données phylogénomiques antérieures qui montraient que le récepteur de strigolactone indispensable à la perception de ces molécules n’est présent que chez les plantes vasculaires. Les scientifiques ont d’ailleurs pu montrer qu’en ajoutant un de ces récepteurs de strigolactones chez Marchantia, la plante devenait capable de percevoir et répondre à sa propre production de ces composés.

L’absence de fonction hormonale des strigolactones au sein d’un grand groupe de plantes démontre que cette fonction de signal interne n’a évolué que plus récemment, probablement chez les plantes vasculaires. Ainsi, un langage originellement dédié pour communiquer avec un autre organisme a été adapté par les plantes pour une communication hormonale interne, une histoire évolutive originale.

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© Pierre-Marc Delaux

Figure : Les plantes non-vasculaires (à gauche) et vasculaires (à droites) produisent des molécules de la famille des strigolactones (flèches bleue). Ces molécules servent de signal symbiotique chez toutes les plantes terrestres, mais également d’hormone contrôlant le développement chez les plantes vasculaires.

Pour en savoir plus :
An ancestral function of strigolactones as symbiotic rhizosphere signals.
Kodama K, Rich MK, Yoda A, Shimazaki S, Xie X, Akiyama K, Mizuno Y, Komatsu A, Luo Y, Suzuki H, Kameoka H, Libourel C, Keller J, Sakakibara K, Nishiyama T, Nakagawa T, Mashiguchi K, Uchida K, Yoneyama K, Tanaka Y, Yamaguchi S, Shimamura M, Delaux PM, Nomura T, Kyozuka J
Nature Communications 8 juillet 2022. doi: 10.1038/s41467-022-31708-3.

Contact

Mélanie Rich
Post doctorante

Laboratoire

Laboratoire de recherche en sciences végétales (CNRS/Université de Toulouse/Toulouse INP)
24 Chemin de Borde Rouge
31326 Castanet Tolosan
France