Sept scientifiques lauréats d'un financement du Human Frontier Science Program

Distinctions

Chaque année, les Human Frontier Science Program (HFSP) offrent une opportunité unique aux chercheurs et chercheuses du monde entier, les encourageant à adopter des approches novatrices pour mieux comprendre la complexité biologique. Cette année, parmi les 25 lauréats, sept scientifique français du CNRS se distinguent en recevant ce prestigieux financement.

Le Human Frontier Science Program (HFSP) soutient la collaboration internationale en recherche fondamentale, visant à élucider les mécanismes complexes des organismes vivants. Ce programme finance des projets innovants dans le domaine des sciences de la vie, avec une préférence pour des partenariats intercontinentaux. Les projets sélectionnés doivent proposer de nouvelles lignes de recherche, distinctes des travaux en cours des candidats, afin de repousser les frontières de la compréhension scientifique.

Découvrez les projets des différents lauréats issus du CNRS.

Christian BRAENDLE - Behavioral adaptation to arsenic-rich environments

  • Cornelia BARGMANN, Lab. of neural circuits and behaviour, Rockefeller University, New York, États-Unis
  • Christian BRAENDLE, Institut de biologie Valrose – iBV (CNRS/Inserm/Université Côte d’Azur)
  • Elizabeth NEW, School of chemistry, University of Sydney, Australie
  • Ryoji SHINYA, School of agriculture, Meiji University, Kawasaki, Japon

Le changement climatique est représenté comme une menace constante pour les humains, les plantes et les animaux, contraints de s’adapter à des environnements devenus inhospitaliers. Un aspect souvent sous-estimé de cette menace est constitué par la dégradation des eaux souterraines et des lacs, causée par l’accumulation d’éléments toxiques tels que l’arsenic, pouvant entraîner des dommages neurologiques graves, voire la mort. Ces environnements minéraux extrêmes sont observés de plus en plus fréquemment à travers le monde — par exemple, plus de 200 millions de personnes subissent actuellement des niveaux toxiques d’arsenic dans l’eau potable.

Afin que de meilleures stratégies de détoxification et de résilience puissent être inspirées, des animaux capables de survivre naturellement dans ces environnements extrêmes en arsenic seront étudiés. Les recherches seront d’abord portées sur une espèce de nématode récemment isolée du lac Mono, un lac naturel riche en arsenic et incompatible avec la plupart des formes de vie animale. Ce nématode du lac Mono présente une forte résistance à l’arsenic, impliquant des adaptations comportementales et physiologiques favorisant sa survie.

Par exemple, alors que la reproduction des nématodes se fait généralement par la ponte d’œufs, la progéniture de cette espèce est incubée dans le corps de l’adulte après l’éclosion, nourrie directement, puis mise au monde lorsqu’un stade résistant au stress est atteint. Contrairement aux rares autres animaux vivant dans le lac Mono, ce nématode peut être facilement cultivé en laboratoire, ce qui permet à ses propriétés de survie d’être étudiées.

Les questions suivantes seront posées : quelles spécialisations comportementales et physiologiques sont impliquées dans la survie de ces animaux dans des conditions difficiles ? Comment ces spécialisations sont-elles mises en œuvre par leurs neurones, leurs tissus et leurs gènes ?

Ces propriétés seront ensuite examinées chez d’autres nématodes provenant de divers environnements extrêmes, afin de déterminer si des stratégies similaires sont utilisées. Une équipe de scientifiques spécialisés en biologie des nématodes, écologie, chimie, génétique et neurosciences est mobilisée pour explorer chacune de ces questions en profondeur.

Johan DECELLE - 1+1=1: Bioengineering synthetic symbiosis to illuminate how a microalga becomes an endosymbiont

  • Johan DECELLE, Laboratoire de physiologie cellulaire et végétale – LPCV (CEA/CNRS/Inrae/Université Grenoble Alpes)
  • Daniel DUCAT, Dept. of biochemistry and molecular biology, Michigan State University, East Lansing, Etats-Unis
  • Dietrich KOHLHEYER, Institute of Bio- and Geosciences Biotechnology (IBG-1), Research Center Jülich, Allemagne

Au cours de l’évolution, la vie a été façonnée et s’est chimérisée par de multiples interactions symbiotiques entre organismes, conduisant à l’acquisition de gènes, d’organites et de nouvelles fonctionnalités. Par exemple, une symbiose entre un hôte et des cellules photosynthétiques intracellulaires (microalgues), appelée photosymbiose, est apparue à plusieurs reprises aconduisant dans certains cas à l’origine de tous les organismes photosynthétiques présents aujourd’hui sur Terre, tels que les plantes, les arbres et les algues.

Au cours de ce processus complexe, les cellules photosynthétiques « absorbées » ont été progressivement transformées en un organite, le chloroplaste, par lequel l’oxygène et l’énergie sont produits grâce à la lumière, à la base des réseaux trophiques. La photosymbiose est encore utilisée comme stratégie de vie dans les écosystèmes aquatiques et terrestres, comme chez les lichens, les coraux et le plancton océanique, où elle joue un rôle écologique fondamental et est dotée d’une valeur économique importante. On considère que cette symbiose apporte des bénéfices mutuels aux deux partenaires dans des écosystèmes pauvres en nutriments (récif coralien ou l’océan ouvert), mais elle est aussi parfois considérée également comme du « farming » /agriculture où un hôte récolte et maintien des petites usines à fabriquer de l’énergie.

Malgré l’importance de la photosymbiose dans l’évolution de la vie et des écosystèmes, peu de choses sont connues sur la manière dont les deux organismes (hôte et partenaires photosynthétiques) interagissent et les mécanismes « transformant » une microalgue en symbionte intracellulaire. Cela est principalement dû à l’absence de model de laboratoire facilement manipulable en laboratoire, ainsi que du manque d’outils d’imagerie haute résolution et de génétique. La façon dont deux cellules sont fusionnées en une seule (1+1=1) constitue l’un des mystères les plus fascinants du vivant que ce projet souhaite explorer.

La création d’une nouvelle photosymbiose « artificielle » (ou synthétique) avec des cyanobactéries génétiquement modifiées et une cellule hôte est proposée par une équipe interdisciplinaire maîtrisant la biologie, la microfabrication de systèmes de culture, la microscopie et la génétique. Grâce à cette approche, les étapes fondamentales et les mécanismes de l’intégration des cellules photosynthétiques dans un hôte, ainsi que leurs réponses métaboliques à l’absorption, pourront être étudiées.

Les deux partenaires seront co-cultivés et scrutés à des échelles temporelles et spatiales pertinentes grâce à la microfluidique couplé à la microscopie, dans différentes conditions, à l’aide de cyanobactéries génétiquement modifiées pour exercer différentes fonctions métaboliques et cellulaires. Ce projet ambitieux permettra à des questions fondamentales en biologie d’être abordées et à de nouvelles connaissances d’être apportées sur l’un des événements les plus importants de l’évolution de la vie.

Audrey DUSSUTOUR - Molecular memories in single cells: An integrated approach to how cells learn

  • Saad BHAMLA, School of chemical and biomolecular engineering, Georgia institute of technology, Atlanta, États-Unis
  • Wanze CHEN, Institute of synthetic biology, Shenzhen institute of advanced technology, Chine
  • Audrey DUSSUTOUR, Centre de recherches sur la cognition animale – CRCA (CNRS/Université de Toulouse)

Des découvertes récentes ont suggéré qu’un rôle pourrait être joué par des molécules présentes à l’intérieur des cellules, en particulier l’ARN, dans le stockage et la transmission des souvenirs. Cette hypothèse est explorée dans notre projet à travers l’étude d’un organisme unicellulaire appelé Spirostomum ambiguum, ainsi que de cellules immunitaires, les macrophages. Ces cellules uniques sont étudiées pour leurs capacités à apprendre de leurs expériences, à l’image de ce qui est observé chez des organismes plus complexes. Par exemple, une réponse plus efficace à des défis déjà rencontrés peut-être développée par ces cellules après avoir été « entraînées ».

Ce projet caractérisera l'étendue des capacités d’apprentissage chez ces deux types de cellules et identifiera les mécanismes moléculaires sous-jacents. Un outil clé de ce projet de recherche est représenté par le Live-seq, une technologie de pointe grâce à laquelle l’activité des cellules peut être étudiée au fil du temps sans qu’elles soient détruites. Les méthodes classiques d’analyse moléculaire impliquent généralement la destruction de la cellule, ce qui limite les informations pouvant être obtenues. En revanche, avec le Live-seq, l’expression des gènes peut être suivie dans des cellules vivantes, permettant que les changements de comportement et d’activité génétique soient observés au fur et à mesure que la cellule « apprend ».

En outre, la possibilité d’implanter des souvenirs synthétiques ou « faux » dans des cellules sera explorée, en transférant de l’ARN d’une cellule à une autre. Ce transfert pourrait permettre de démontrer que des informations spécifiques liées à la mémoire sont transportées par l’ARN. Grâce à cette recherche, une transformation de notre compréhension de la mémoire chez tous les êtres vivants pourrait être permise.

Yad GHAVI-HELM - Visualizing and dissecting spatial translation dynamics across developmental time

  • Yad GHAVI-HELM, Institut de génomique fonctionnelle de Lyon – IGFL (CNRS/ENS de Lyon)
  • Hilary ASHE, Faculty of biology, medicine and health, University of Manchester, Royaume-Uni
  • Ahilya SAWH, Dept. Of Biochemistry, University of Toronto, Canada

La régulation fine de l’expression des gènes dans le temps et l’espace, à l’échelle cellulaire, est considérée comme essentielle au bon fonctionnement de processus biologiques fondamentaux tels que le développement ou le maintien de l’homéostasie. Grâce aux avancées des approches de transcriptomique en cellule unique et de transcriptomique spatiale, une cartographie précise de l’abondance et de la distribution des ARNm à l’échelle du transcriptome a pu être réalisée au sein de cellules individuelles.

Cependant, la concentration des protéines n’est que partiellement reflétée par la quantité d’ARNm, car ce processus est fortement régulé au stade de la traduction. À ce jour, cette régulation est encore mal comprise à l’échelle génomique, notamment en raison de limitations techniques.

Une méthode de « translatomique spatiale » sera développée pour explorer la régulation traductionnelle durant le développement. Pour cela, l’expertise complémentaire des membres du consortium en biologie moléculaire, en imagerie de pointe, en bio-informatique et en biologie du développement sera mobilisée, tandis que les atouts uniques de l’embryon de drosophile seront exploités comme modèle d’étude.

Mounia LAGHA - Trapping targets of dynamic translation to identify novel cellular « band aids »

  • Olena ZHULYN – Developmental & Stem Cell Biology Program, The Hospital for Sick Children, Toronto, Canada
  • Mounia LAGHA, Institut de génétique moléculaire de Montpellier – IGMM (CNRS/Université de Montpellier)
  • Neil KELLEHER – Dept. Of Chemistry and Molecular Biosciences, Northwestern University - Evanston Campus, Etats-Unis
  • Alexander VAN OUDENAARDEN – Hubrecht Institut, Developmental Biology and Stem Cell Research, Utrecht, Pays-Bas

La traduction (synthèse des protéines à partir des ARN messagers) est considérée comme un élément fondamental du contrôle de l’expression génétique. Elle permet, entre autres, des réponses cellulaires rapides à un environnement changeant. Il a récemment été démontré que l’amputation d’un membre chez la salamandre axolotl en régénération entraîne une activation rapide de la traduction, permettant la migration épithéliale et une cicatrisation rapide des plaies, quelques heures après la blessure.

Cependant, la dynamique et les cibles de ce remodelage traductionnel restent mal comprises, en particulier au sein des cellules épithéliales engagées dans une migration active. Afin de décrypter le rôle de la traduction dans des processus de migrations cellulaires, il est indispensable d’identifier et caractériser les différentes populations cellulaires impliquées dans ce remodelage dynamique.

Dans ce projet, une innovation sera apportée par l’exploitation de l’expertise synergique de quatre laboratoires (spécialisés respectivement dans la régénération et la cicatrisation des plaies chez l’axolotl, l’imagerie quantitative in vivo de la traduction et l’embryologie de la mouche, le profilage de l’ARN et de la traduction en cellule unique, et la spectrométrie de masse spatiale sur tissus intacts) afin qu’une compréhension quantitative et multi-échelle du contrôle de la traduction soit obtenue dans deux paradigmes distincts de la migration des feuillets épithéliaux : la régénération d’un membre chez l’axolotl (équipe Zhulyn, Canada)  et la fermeture dorsale dans l’embryon de drosophile (équipe Lagha, France).

En mobilisant les expertises complémentaires des partenaires, de nouvelles sondes seront développées et des techniques d’imagerie avancées seront mises en œuvre pour que la cinétique de la traduction soit quantifiée chez des animaux vivants en développement (drosophile) et en régénération (axolotl).

Les signatures moléculaires des cellules épithéliales en migration active seront mises en évidence par l’application de nouvelles approches de profilage de la traduction en cellule unique (équipe Van Oudenaarden, Pays-Bas) et de spectrométrie de masse spatiale (équipe Kelleher, Etas-Unis), permettant ainsi que l’architecture moléculaire de la migration des feuillets épithéliaux et de la fermeture des plaies soit déchiffrée dans un contexte embryonnaire et de régénération.

Grâce à cette expertise combinée, les programmes conservés sous-jacents à la migration épithéliale à travers différentes espèces et contextes cellulaires seront définis, et l’identité ainsi que la fonction d’un répertoire de nouvelles protéines « pansements » stimulant la cicatrisation des plaies chez l’axolotl régénératif pourront être découvertes pour la première fois.

Marcin SUSKIEWICZ - Filamentous self-assembly - a common mechanism driving transcription factor function?

  • Marcin SUSKIEWICZ, Centre de biophysique moléculaire - CBM (CNRS)
  • Max STALLER, Dept. of molecular and cell biology, University of California, Berkeley
  • Antoni WROBEL, Dept. of biochemistry, University of Oxford

En savoir plus sur le site de CNRS Chimie

Hervé TURLIER - Evolutionary biophysics of spiralian asymmetric divisions

  • Hervé TURLIER, Centre interdisciplinaire de recherche en biologie – CIRB (CNRS/Collège de France/Inserm)
  • Vanessa BARONE, Dept. Of Biology, Stanford University, Pacific Grove, États-Unis
  • Jose MARTIN-DURAN, Dept of Biology, Queen Mary University of London, Royaume-Uni

Pour déchiffrer les mécanismes par lesquels les cellules génèrent des destins différents dès les toutes premières étapes de la vie, ce projet explore le processus de division cellulaire asymétrique chez les animaux marins. Ce processus, reconnu comme essentiel au développement des organismes complexes, y compris chez l’être humain, n’est en effet pas réalisé de la même manière chez tous les organismes.

Chez un grand groupe d’invertébrés appelés spiraliens — tels que certains vers et mollusques — une structure fascinante est mise en jeu : le lobe polaire. Cette protrusion temporaire, formée dans le zygote (c’est-à-dire l’œuf fécondé), n’est transmise qu’à l’une des deux cellules issues de la première division. Une asymétrie de taille est ainsi créée, influençant le destin particulier de cette cellule. Fait étonnant, ce mécanisme a été acquis de manière indépendante chez plusieurs espèces, ce qui en fait un modèle idéal pour comprendre l’émergence de nouveaux traits biologiques dans l'évolution.

Dans ce projet, une collaboration entre spécialistes de la biologie évolutive et du développement, de la mécanique cellulaire et de la modélisation computationnelle est mise en place. Jusqu’à 12 espèces marines seront étudiées afin que la formation des lobules polaires soit analysée, que les molécules impliquées soient identifiées, et que l’évolution ou la transformation de ce processus en des modes plus classiques de division asymétrique soit retracée.

Grâce à une approche inaugurant la biophysique évolutive, il est attendu que soient révélés les mécanismes par lesquels les forces mécaniques et les programmes génétiques coopèrent pour façonner les premières étapes de la vie — apportant ainsi des éclairages potentiellement applicables bien au-delà des embryons marins, jusqu’aux origines de notre propre développement.

Le Human Frontier Science Program

Le Human Frontier Science Program, créé en 1989, vise à développer des collaborations internationales en recherche fondamentale dans le domaine des sciences de la vie. Le programme propose des bourses postdoctorales ainsi que des financements pour les jeunes chercheurs et les chercheurs confirmés. Quarante pays, dont la France, contribuent à son fonctionnement. Pour plus d’informations : https://www.hfsp.org/ 

Les lauréats 2025