Quand les lianes et les arbres parlent ADN

Résultats scientifiques Biologie végétale

Les espèces vivant dans un même écosystème échangent non seulement des nutriments et des signaux chimiques, mais également de l’ADN. Ce phénomène est connu sous le nom de transfert horizontal. Une nouvelle étude, parue dans la revue Plos Genetics, révèle que ces échanges génétiques entre lianes et arbres sont fréquents. Les scientifiques ont également démontré que certaines séquences d’ADN sont plus susceptibles de franchir la barrière entre les espèces.

À l’image des généticiens qui introduisent artificiellement des gènes d'une espèce donnée dans un génome cible, certains organismes sont capables d'incorporer de l’ADN étranger. Ce processus naturel, connu sous le nom de transfert horizontal, a souvent été sous-estimé chez les eucaryotes supérieurs, notamment les plantes. Pourtant, il joue un rôle fondamental dans la diversification et l'enrichissement du patrimoine génétique des espèces. Bien que les mécanismes moléculaires sous-tendant les transferts horizontaux restent à éclaircir, les interactions étroites entre organismes, telles que les relations hôte-parasite ou les associations symbiotiques, favorisent les transferts horizontaux entre les espèces.

A la recherche d'une aiguille dans une botte de foin : l'informatique au service de la génétique

Dans le cadre d'une étude portant sur les génomes de différentes espèces de plantes sauvages de la forêt de la Massane, située dans le sud de la France, des scientifiques ont mis en évidence des échanges génétiques entre plusieurs espèces de plantes. Ces échanges ont été révélés grâce au séquençage du génome entier de 17 espèces, incluant des arbres, des plantes grimpantes et des champignons. Pour parvenir à leurs fins, les scientifiques ont mis en place une stratégie informatique innovante capable de comparer ces génomes entiers, qui peuvent parfois contenir plusieurs milliards de nucléotides, afin de détecter la présence de régions hautement conservées entre des espèces divergentes, difficilement explicables par les lois de l'hérédité classique.

Le simple contact physique entre les espèces pourrait faciliter les échanges génétiques

Cette approche est semblable à la recherche de similitudes lexicales entre des langues très distantes, révélant ainsi l'existence d'échanges plus ou moins anciens entre elles. La complexité réside dans la distinction entre les mots (ou séquences d’ADN) ayant une racine commune ancestrale et ceux empruntés ultérieurement, après la divergence des langues (ou des espèces), à travers des échanges inter-espèces. C'est exactement ce que les scientifiques ont réussi à faire en comparant les génomes séquencés de plusieurs espèces sauvages. De manière surprenante, ils ont identifié plusieurs cas de transferts horizontaux d’ADN entre des plantes grimpantes, telles que le lierre et le tamier, et certains arbres, tels que le hêtre et le frêne. Les lianes utilisent les arbres ou d’autres supports pour grimper et atteindre la lumière, mais ne sont pas des parasites ou des symbiotes des arbres. Identifier des échanges génétiques entre ces espèces est une véritable surprise, d’autant plus que ces séquences d’ADN étrangères sont intégrées dans les génomes des espèces receveuses et font désormais partie de leur patrimoine génétique. Ces observations suggèrent que le simple contact physique entre les espèces pourrait faciliter les échanges génétiques, même en l'absence de contact étroit cellule-à-cellule, comme celui caractérisant le parasitisme ou la symbiose.

Ces travaux ont également montré que les éléments transposables — des séquences génétiques capables de se répliquer et de s'intégrer dans le génome — sont les principaux acteurs de ces transferts inter-espèces. Bien que ces éléments représentent une proportion significative des génomes végétaux, seules certaines familles semblent pouvoir migrer d'une espèce à une autre. Les mécanismes sous-jacents à ce phénomène demeurent inexplorés. L'équipe poursuit actuellement le séquençage des génomes de plusieurs espèces de lianes pour mieux comprendre leurs interactions génétiques avec les arbres et l’impact de ce phénomène sur l’évolution et l'adaptation à l’environnement. Ces échanges entre lianes et arbres révèlent une voie inédite par laquelle des espèces non apparentées peuvent échanger leurs gènes.

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© Moaine El Baidouri
Figure : Illustration de transferts horizontaux d'éléments transposables appartenant à la famille des rétrotransposons LTR entre les lianes et les arbres. LTR fait référence aux longues répétitions terminales caractéristiques des rétrotransposons LTR. Le cercle en haut représente le génome et l'arbre, tandis que le cercle en bas représente celui de la liane. Les flèches en violet représentent les LTR des rétrotransposons, et en rouge le mouvement de ces éléments d'une espèce à l'autre (transferts horizontaux). 

En savoir plus : 
Genome-wide analysis of horizontal transfer in non-model wild species from a natural ecosystem reveals new insights into genetic exchange in plants . Aubin E, Llauro C, Garrigue J, Mirouze M, Panaud O, El Baidouri M (2023). PLoS Genet 19(10): e1010964. https://doi.org/10.1371/journal.pgen.1010964

Contact

Moaine El Baidouri
Chercheur CNRS

Laboratoire

Laboratoire génome et développement des plantes - LGDP (CNRS/Université de Perpignan Via Domitia)
Université de Perpignan Via Domitia
Bat. T
58 avenue Paul Alduy
66860 Perpignan