Quand la duplication du génome génère de l’instabilité génétique en une seule phase S

Résultats scientifiques Génétique, génomique

Une duplication du génome a été retrouvée dans environ 40% des tumeurs, participant à générer de l’instabilité génétique selon un mécanisme encore peu compris. Cette étude, publiée dans la revue Nature, montre que la duplication non programmée du génome conduit dès la première phase de synthèse d'ADN ("phase S") à une altération de la réplication de l’ADN générant des cassures et des caryotypes anormaux. Les chercheurs décrivent ainsi un mécanisme permettant de mieux appréhender les conséquences de la duplication du génome sur la stabilité génétique avec des répercussions pour la tumorigenèse.

La plupart des cellules humaines sont diploïdes, elles disposent de deux copies de chaque chromosome. Elles sont également euploïdes, c’est-à-dire que la stabilité du génome est maintenue au cours du temps. Ces deux conditions sont cruciales pour permettre aux cellules de proliférer tout en maintenant leur stabilité. En effet, l’induction d’une duplication complète du génome ou tétraploïdie dans des cellules initialement diploïdes génère une forte instabilité génétique. Cette dernière contribue au développement des cancers dans lesquels une duplication du génome a été mise en évidence dans environ 40% des tumeurs solides. Néanmoins, l’origine moléculaire de cette instabilité génétique et en particulier, les conséquences immédiates de la tétraploïdie, n’étaient pas connues.

Pour mieux appréhender les conséquences de la tétraploïdie, la première étape était de développer un modèle d’étude adéquate. Les scientifiques ont choisi pour cela d’utiliser des cellules humaines en culture diploïdes et euploïdes dans lesquelles ils ont établi de nouveaux outils permettant d’induire une duplication du génome. Ils ont alors observé que les cellules tétraploïdes ainsi créées présentent dès la première phase S suivant cette duplication du génome une très forte instabilité génétique. Celle-ci se traduit par (A) l’accumulation de cassures de l’ADN dépendantes de la réplication de l’ADN et (B) par la génération de caryotypes très anormaux dans cette seule phase S. D’un point de vue mécanistique, ces résultats démontrent que l’instabilité génétique des cellules tétraploïdes s’explique par l’altération de la dynamique de réplication de l’ADN. Pour comprendre ces défauts, les chercheurs ont mesuré la quantité de protéines dans les cellules tétraploïdes. Ils ont alors observé que les cellules tétraploïdes ne sont pas capables de « percevoir » l’augmentation de la quantité d’ADN et d’adapter en conséquence la production de protéines. Ainsi, certains facteurs clés de la réplication de l’ADN deviennent limitants pour soutenir la réplication d’une quantité double d’ADN. Cette absence de proportionnalité entre la quantité d’ADN et la production de protéine s’explique par le fait que les cellules tétraploïdes n’ont pas assez de temps pour produire les facteurs nécessaires à la réplication de l’ADN avant d’entrer en phase S. Cela est bien illustré par le fait que la stabilité génétique des cellules tétraploïdes peut être restaurée en augmentant la durée de la phase G1 ou bien en augmentant l’expression des facteurs de réplication de l’ADN. Les chercheurs ont également confirmé in vivo leurs observations en montrant que l’induction de multiples cycles de duplication du génome dans les cellules souches neuronales de la larve de Drosophila melanogaster conduit à la génération de dommages à l’ADN lors de sa réplication. Et de nouveau, ces dommages sont prévenus par la surexpression de protéines de la réplication.

Cette étude démontre que dès la première phase S, les cellules tétraploïdes présentent une forte instabilité génétique. Cette dernière pourrait favoriser l’accumulation de mutations participant à la prolifération et à la survie de ces cellules tétraploïdes pouvant expliquer la proportion importante de tumeurs tétraploïdes. En accord avec ce modèle, les chercheurs ont montré que des tumeurs tétraploïdes présentaient une surexpression des voies de réparations de l’ADN comparées aux tumeurs diploïdes, ce qui évoque évidemment une importante instabilité génétique en contexte tumoral tétraploïde.

Il reste désormais à comprendre pourquoi les cellules tétraploïdes ne perçoivent pas l’augmentation de la quantité d’ADN. Quelles sont les adaptations nécessaires au maintien de la stabilité du génome lorsque la quantité d’ADN augmente ? En effet, certaines cellules accumulent de nombreuses copies du génome au cours du développement et ce de manière programmée sans pour autant présenter d’instabilité génétique. L’identification des mécanismes qui maintiennent la stabilité du génome dans ce contexte représente une future voie de recherche prometteuse.

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© Renata Basto

Figure : (A) Les cellules tétraploïdes accumulent des dommages à l’ADN (en rouge) lors de la première phase S suivant la duplication du génome de manière dépendante de la réplication de l’ADN. (B) Une seule phase S en contexte tétraploïde suffit à générer des caryotypes très anormaux présentant des séquences d’ADN sous- et sur-répliquées.

Pour en savoir plus :
Genetic instability from a single S-phase after whole genome duplication.
Simon Gemble, René Wardenaar, Kristina Keuper, Nishit Srivastava, Maddalena Nano, Anne-Sophie Macé, Andréa E. Tijhuis, Sara Vanessa Bernhard, Diana C.J. Spierings, Anthony Simon, Oumou Goundiam, Helfrid 6 Hochegger, Matthieu Piel, Floris Foijer, Zuzana Storchová and Renata Basto.
Nature 30 mars 2022. https://doi.org/10.1038/s41586-022-04578-4

Contact

Simon Gemble
Chercheur post-doctorant

Laboratoire

Biologie cellulaire et cancer (Institut Curie/PSL université/CNRS)
12 rue Lhomond,
75005 Paris, France