Prix Jeunes Talents France Pour les Femmes et la Science 2019 : cinq jeunes chercheuses en biologie récompensées

Distinctions

Le 8 octobre, la Fondation L’Oréal a réuni les 35 jeunes chercheuses récompensées par le Prix Jeunes Talents France 2019 Pour les Femmes et la Science, créé il y a 12 ans en partenariat avec l’UNESCO et l’Académie des Sciences. Cette année, cinq des lauréates sont rattachées à l'Institut des sciences biologiques du CNRS.

Textes issus du dossier de presse Prix Jeunes Talents France 2019

Sophie Bagur, Laboratoire Plasticité du cerveau

Respirons pour gérer nos émotions

Née au Royaume-Uni, Sophie Bagur est arrivée en France à l’âge de 10 ans. Après un parcours en classe préparatoire, elle passe quatre années à l’École normale supérieure de Paris, où elle étudie la biologie et hésite longuement entre la biophysique et les neurosciences. Ce seront finalement les neurosciences qui l’emporteront. Les émotions sont profondément liées à notre corps, même si l’on comprend mal encore la raison de cette connexion physiologique et de son éventuel rôle fonctionnel. Les neurosciences tendent à reconsidérer la mission du corps au sein des processus cognitifs, en montrant qu’il est très étroitement lié au traitement de l’information dans le cerveau. À travers ses recherches, Sophie Bagur s’intéresse à cette relation étroite entre corps et cerveau, et en particulier à la fonction du rythme respiratoire comme expression corporelle de notre état émotionnel.

Comment le lien entre l’activité à la fois mécanique et automatique de la respiration, et celle de la palette complexe de nos émotions se tisse-t-il ? Concrètement, lorsqu’un animal respire, le tronc cérébral génère un rythme qui entraîne l’air au niveau des narines. Ce flux et reflux d’air va stimuler le système olfactif et sensoriel qui actionne le cortex préfrontal, région en charge des fonctions cognitives supérieures, telles la gestion des émotions ou les prises de décisions complexes. Pour mettre en lumière l’importance fonctionnelle de cette association, Sophie Bagur réalise des tests à partir d’un modèle expérimental sur la différence entre panique et anxiété. Elle a pu faire l’observation que l’anxiété répondait à une menace absente mais potentielle, et a contrario, que la panique surgissait face à un danger clair et imminent. Bien que semblables, ces deux états se caractérisent par des rythmes respiratoires différents.

En testant la réponse de ce modèle aux traitements déjà utilisés chez l’homme, la neuroscientifique espère pouvoir offrir un nouveau regard sur les bases physiologiques de la panique et l’anxiété. Plus nous serons capables de décrypter les soubassements neurologiques de ces troubles de l’émotion, mieux nous pourrons affiner les traitements à destination des patients voire proposer des stratégies thérapeutiques alternatives.

Si les recherches de Sophie Bagur pourront à terme servir à la sphère publique, celle-ci assure déjà la diffusion de ses recherches au plus grand nombre. Elle a ainsi participé au programme « 1 chercheur, 1 manip » du Palais de la découverte à Paris, qui vise à mettre en valeur des phénomènes de synchronisation dans le vivant, comme dans le cas des neurones.

 

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©Fondation l’Oréal / Jean-Charles Caslot

 

Anne-Cécile Boulay, Centre interdisciplinaire de recherche en biologie

Comprendre l'érection des "frontières" du cerveau

La passion d’Anne-Cécile Boulay pour la biologie s’est forgée au lycée en Indre-et-Loire. Alors qu’elle pratique la flûte traversière et se rêve musicienne, elle découvre en classe les mystères de l’ADN et de la cellule. Elle se plonge dans ce sujet, encouragée par ses professeurs de biologie, et décide peu à peu d’y consacrer ses études, sans pour autant cesser de pratiquer la musique en amatrice passionnée. Anne-Cécile Boulay étudie alors à l’École normale supérieure de Lyon, puis démarre un stage de recherche au prestigieux Collège de France à Paris, où elle rencontre sa future directrice de thèse. C’est cette dernière qui lui donne véritablement sa chance dans la recherche, en la soutenant et en lui montrant qu’une femme peut suivre ses ambitions de scientifique sans pour autant y sacrifier sa vie personnelle.
Guidée par la volonté de comprendre comment la spécialisation cellulaire et les interactions entre cellules conditionnent le fonctionnement d’un organe et d’un organisme, Anne-Cécile Boulay étudie en particulier le cerveau, et notamment une structure appelée « l’unité glio-vasculaire » (UGV).

Le bon fonctionnement du cerveau est assuré par une multitude de cellules, les neurones bien entendu, mais également les cellules dites « gliales » parmi lesquelles on retrouve les « astrocytes », qui intéressent particulièrement la biologiste. Ces cellules interagissent à la fois avec les vaisseaux sanguins du cerveau et les neurones, afin de former l’UGV. Cette interface, ou barrière hémato-encéphalique, permet de faciliter le passage des nutriments essentiels, tout en empêchant les pathogènes d’atteindre notre précieuse matière grise. Ainsi, ces fonctions sont presque systématiquement altérées dans les cas de pathologies cérébrales, qui ont pour autre point commun d’atteindre les astrocytes.
Grâce au développement d’une technique d’imagerie innovante, capable de créer un marquage individuel des astrocytes, et à une approche multidisciplinaire, Anne-Cécile Boulay étudie les mécanismes régissant la formation de l’UGV au cours du développement cérébral, pour mieux en comprendre l’architecture et les caractéristiques moléculaires, encore méconnues, et, in fine, apporter de nouvelles pistes de résolutions des pathologies cérébrales.

Immergée dans son post-doctorat et passionnée par ses sujets de recherche, Anne-Cécile Boulay constate avec plaisir que de plus en plus de femmes dirigent des équipes autour d’elle. Une évolution souhaitable à ses yeux, et à laquelle elle est fière de contribuer, afin de déconstruire les préjugés et de montrer que la recherche n’est pas incompatible avec une vie de femme épanouie.

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©Fondation l’Oréal / Jean-Charles Caslot


 

Charlène Estrada, Signalisation normale et pathologique : de l'embryon aux thérapies innovantes des cancers

La recherche fondamentale au service du mélanome cutané

De nature très curieuse, Charlène Estrada a toujours aimé les sciences et cherché à comprendre le fonctionnement du corps humain. Mais son choix d’orientation vers la cancérologie s’est fait à l’âge de 17 ans lorsqu’elle a malheureusement découvert que les cancers pédiatriques pouvaient aussi toucher des personnes proches de son entourage. Ses travaux de recherche portent spécifiquement sur le mélanome, en recrudescence depuis plusieurs dizaines d’années, qui est aujourd’hui plus que jamais une problématique de santé publique. Cette tumeur particulièrement agressive résulte de la transformation des mélanocytes, autrement dit les cellules responsables de la pigmentation de la peau. Au sein de ces tumeurs, on retrouve des altérations génétiques ou mutations très fréquentes au niveau des gènes BRAF ou NRAS. Ces modifications au niveau des gènes ont de lourdes conséquences : elles produisent des protéines mutées qui agissent ensuite de manière non contrôlée au sein de la cellule cancéreuse, ce qui leur permet de se multiplier de façon anarchique et de faire croître la tumeur.

Des bloqueurs (inhibiteurs) de la protéine BRAF constituent des solutions thérapeutiques ciblées mais leur utilisation reste problématique à cause de l’émergence fréquente de résistances et de l’impossibilité d’utiliser ces bloqueurs de BRAF pour les patients porteurs de la mutation NRAS. En effet, à ce jour, les patients mutés NRAS souffrant d’un mélanome n’ont d’autre choix que de recourir à l’immunothérapie, un traitement révolutionnaire qui est cependant associé à un taux de réponse variable d’un patient à l’autre et à une toxicité non négligeable.

Étant donné le rôle crucial des protéines RAF (dont il existe trois membres : ARAF, BRAF et CRAF) dans le développement des cancers de la peau, Charlène Estrada cherche à les étudier à partir de modèles cellulaires. En utilisant une technique de pointe, elle a été capable de montrer pour la première fois, que la protéine ARAF formait un complexe avec une autre protéine appelée MITF, acteur majeur dans les cellules du mélanome. L’éclairage donné à leur interaction devrait permettre de mieux comprendre comment ces protéines agissent de concert dans la croissance du mélanome et d’ouvrir, à plus long terme, de nouvelles pistes thérapeutiques avec des traitements appropriés ciblés, notamment pour les patients non éligibles aux inhibiteurs de BRAF.

Charlène Estrada est, en dehors de son laboratoire, très impliquée dans le monde associatif : elle a notamment participé à l’organisation du forum BIOTechno Paris, qui a pour but de faire découvrir aux jeunes chercheurs les métiers des biotechnologies.
Passionnée par la transmission, elle reste marquée par le souvenir d’un voyage humanitaire au Bénin, lors duquel elle a enseigné le français et les mathématiques à une classe élémentaire. Une expérience qu’elle souhaite renouveler dès la fin de sa thèse pour partager son goût des sciences au plus grand nombre.

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©Fondation l’Oréal / Jean-Charles Caslot

 

Diana Garcia Garcia, Institut des neurosciences Paris Saclay

Dégénérescence de la rétine : l’espoir des cellules souches

Diana García García est née et a grandi à Madrid, immergée dans le milieu de la recherche dès son plus jeune âge grâce à une mère qui travaille dans le domaine universitaire. Lors de son premier stage, durant sa licence de biochimie en Espagne, elle découvre et se passionne pour la recherche sur les neurones. Décidée à poursuivre son rêve de devenir chercheuse comme Marie Curie et ouverte à l’international, c’est en France, au sein de l’Institut des Neurosciences Paris-Saclay, dans l’équipe Stem Cells and Neurogenesis in the Retina (SCaNR), associée au Centre d’Études et de Recherches
Thérapeutiques en Opthalmologie (CERTO), qu’elle commence à travailler sur des cellules de la rétine ayant des caractéristiques des cellules souches neurales, les cellules de Müller, puis décide d’en faire son sujet de thèse. Appliquée au domaine de la santé et aux maladies dégénératives de la rétine, la recherche en Biologie de Diana García García porte sur les maladies caractérisées par la mort des photorécepteurs (les cellules sensibles à la lumière), comme la rétinite pigmentaire, qui touche en France près de 30 000 personnes, ou la DMLA, la « dégénérescence maculaire liée à l’âge », qui concerne environ 1.5 million de français, et qui sont des causes majeures de malvoyance et de cécité. La jeune doctorante est déterminée à découvrir les mécanismes impliqués dans la régénération rétinienne pour pouvoir trouver des cibles thérapeutiques permettant de guérir les maladies dégénératives de la rétine qui n’ont pas de traitement efficace à ce jour.
Ses travaux expérimentaux visent à réactiver les cellules de Müller, pour qu’elles se reprogramment en cellules souches et régénèrent la rétine des mammifères, à l’instar de ce qu’elles font chez les poissons et les amphibiens.

Elle a déjà démontré l’implication de la voie de signalisation Hippo, et en particulier du facteur YAP (Yes-associated protein), dans la sortie de dormance des cellules de Müller, première étape pour se comporter comme une cellule souche. Aujourd’hui, sa thèse va se poursuivre par l’exploration des liens entre régénération et inflammation, deux processus qui se révèlent de plus en plus intimement liés. Quel résultat à la clef ? La possibilité de recréer des cellules rétiniennes parfaitement fonctionnelles et de rendre la vue aux patients. Un travail de longue haleine attend donc Diana García García et son équipe, afin de comprendre et de maîtriser très finement la régénération des cellules rétiniennes.

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©Fondation l’Oréal / Jean-Charles Caslot

 

Scarlett Howard, Centre de recherche sur la cognition animale

Comprendre l’intelligence des abeilles grâce à la réalité virtuelle

Scarlett Howard est née et a grandi en Australie, où elle a étudié la zoologie et obtenu son doctorat à l’Institut royal de technologie de Melbourne.
Si certaines personnes de son entourage se sont questionnées sur sa capacité à poursuivre un cursus universitaire en science, le soutien de sa famille et de ses amis les plus proches s’est avéré déterminant pour lui donner la confiance nécessaire pour se lancer.

C’est lors de son stage de master qu’elle commence à étudier les abeilles, curieuse de décrypter leurs compétences à réaliser des tâches complexes. Exemple frappant, les abeilles sont capables, au cours d’expériences en vol libre, de dissocier des couleurs et des images complexes comme des visages humains ; elles peuvent aussi résoudre des labyrinthes ou encore compter des objets jusqu’à 4.

Cette intelligence reconnue des abeilles représente une formidable opportunité et un modèle idéal pour comprendre le fonctionnement du cerveau humain. Être capable d’analyser, lors d’études neurobiologiques, les processus cognitifs complexes au sein d’un cerveau « miniature », est extrêmement précieux afin de prévoir ces mêmes mécanismes, encore non étudiés chez les mammifères.
Cependant, l’avancement de la compréhension des mécanismes neurobiologiques du cerveau, et en particulier ceux de l’apprentissage visuel des concepts, est actuellement freiné par l’impossibilité d’enregistrer ce type d’activité cérébrale d’abeilles en vol libre. Afin de résoudre cette problématique, Scarlett Howard a mis en place un système de réalité virtuelle, capable d’afficher des images complexes aux abeilles lors de leur navigation.

Cette expérience va permettre d’agir sur le cerveau des abeilles au sein du système de réalité virtuelle, afin de déterminer quel type de neurotransmetteurs (dopamine, sérotonine, etc.) sont nécessaires à l’apprentissage visuel, par injection d’un inhibiteur d’activité neuronale.
Les connaissances acquises au cours de cette étude pourront impacter de nombreux domaines tels que la neurobiologie, la psychologie, l’informatique, la robotique ou encore l’intelligence artificielle.

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©Fondation l’Oréal / Jean-Charles Caslot