Pour résister aux prédateurs, mieux vaut être bien collé !

Résultats scientifiques Développement, évolution

A quoi sert la colle sécrétée par les larves de drosophile pour accrocher l’animal à une branche, une feuille ou un caillou pendant les quelques jours que dure la métamorphose ? Un article publié dans la revue Proceedings of the Royal Society B présente pour la première fois des expériences simples qui permettent d’élucider le rôle de cette colle. En comparant des animaux collés et des animaux décollés simplement posés sur un substrat, les scientifiques ont observé, comme attendu, que les mouches collées sont prélevées moins vite par les prédateurs, que ce soit dans le bois de Vincennes ou au laboratoire en présence de fourmis. Les mouches collées demandent aux fourmis de passer plus de temps hors de leur nid que les mouches décollées, et aussi d’être plus nombreuses pour parvenir à les consommer. L'adhésion pendant la phase de métamorphose est donc vitale pour les mouches pour résister aux prédateurs.

Juste avant de rentrer en métamorphose, de nombreux insectes produisent une colle qui permet à l'animal de rester accroché pendant plusieurs jours jusqu'à la sortie de l'adulte. Chez la mouche Drosophila melanogaster, cette colle a des propriétés intéressantes : elle est constituée de protéines et de résidus de sucres (des produits non toxiques si on compare avec les colles chimiques), elle résiste bien à la pluie, l'humidité et la sécheresse et permet à l'animal de s'accrocher à des branches, des feuilles ou de petits cailloux.

Bien que plusieurs hypothèses aient été proposées pour expliquer le rôle de cette colle chez les insectes, aucune expérience n'avait été réalisée jusqu'à présent sur cette question. Les scientifiques ont décidé de tester si cette colle empêche les mouches d'être détachées puis mangées par des prédateurs éventuels. Elles ont réalisé des expériences très simples, qui pourraient très bien se transposer à d'autres insectes si on voulait savoir si leurs résultats s'appliquent aussi à d'autres espèces.

Dans un premier temps, elles ont déposé dans le bois de Vincennes de petites boites en plastique contenant chacune soit 10 animaux collés, soit 10 animaux décollés préalablement manuellement avec un pinceau. Ensuite, pendant 3 jours, le matin et le soir, le nombre d'animaux qui restaient dans les boites a été compté. Comme on pouvait s'y attendre, la plupart des animaux qui avaient été décollés ont disparu alors que ceux qui étaient collés sont restés dans les boites. Dans les boites, les chercheurs ont trouvé des acariens, des cafards sauvages, des cloportes, et surtout des fourmis de l'espèce Temnothorax nylanderi, qui étaient clairement en train de manger les drosophiles.

Par la suite, des colonies de fourmis T. nylanderi ont été ramenées au labo, bien nourries puis affamées pour analyser leurs réactions face à des drosophiles collées et des drosophiles non collées. Il a été observé qu'en général, une mouche collée était grignotée sur place par plusieurs fourmis en même temps jusqu'à disparaitre totalement, alors qu'une drosophile décollée était récupérée par une fourmi avec ses mandibules et ramenée dans le nid, où elle était alors dévorée. Les mouches collées demandaient aux fourmis 2 à 6 fois plus de temps passé hors de leur nid que les mouches décollées, et aussi plus de fourmis impliquées dans le processus.

Ces résultats montrent donc que l'adhésion pendant la phase de métamorphose empêche l'animal d'être emporté par les prédateurs et est cruciale pour la survie de la mouche drosophile.

Suite à ces travaux, les chercheuses utilisent maintenant les outils puissants de la génétique de la drosophile pour élucider les propriétés physico-chimique de cette colle, et pour essayer de développer de nouvelles colles biologiques.

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©: Mathieu Molet
Figure : Photo des seaux percés enterrés partiellement dans le bois de Vincennes qui ont été utilisés pour l’expérience. Dans 28 seaux, deux petites boites en plastique ont été déposées : l’une contenant dix animaux collés et l’autre dix décollés. Ensuite, le nombre d’individus présents dans chaque boîte a été relevé pendant plusieurs jours. Après 3 jours, les animaux attachés avaient moins disparu que les autres et il y avait 30 % d’individus collés en plus par rapport aux décollés.
 

Pour en savoir plus :
Drosophila glue protects from predation.
Borne, F., Prigent, S. R., Molet, M., & Courtier-Orgogozo, V. (2021). Proc. R. Soc. B. 288: 20210088.  http://doi.org/10.1098/rspb.2021.0088

Contact

Virginie Courtier-Orgogozo
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