Ni proie, ni partenaire : le plancton qui floute la frontière entre prédation et symbiose
Dans une étude publiée dans Current Biology, des scientifiques montrent comment un plancton est capable de « voler » les organites producteurs d’énergie d’une microalgue et de les détourner pour son propre usage. Cette interaction où un plancton vole et retient les chloroplastes et la mitochondrie d’une microalgue pendant des mois démontre la complexité des relations entre cellules planctoniques dans l’océan Ce mécanisme, appelé kleptoplastidie, entre prédation et symbiose, pourrait être à l’origine d’une innovation majeure au cours de l’évolution.
Les interactions cellulaires dans le plancton océanique
Dans l’océan, le plancton est principalement constitué de petits organismes formés d’une seule cellule. Ces organismes unicellulaires interagissent de façon complexe tout au long de leur vie. En plus de se manger entre eux, ils peuvent aussi vivre ensemble, ce qu'on appelle la symbiose (sensu lato). Par exemple, un plancton hôte peut abriter en symbiose des microalgues intracellulaires, ce qui lui permet d’accéder directement à l’énergie issue de la photosynthèse grâce à la lumière du soleil.
Mais il existe une autre forme d’interaction : certains planctons « volent » des parties de microalgues, notamment les chloroplastes, les organelles photosynthétiques produisant de l’énergie sous forme de sucres et de lipides. Ce phénomène entre prédation et symbiose s’appelle la kleptoplastidie. Ces interactions permettent au plancton hôte de fabriquer sa propre énergie ou "carburant" à partir de la lumière. En plus de leur importance écologique, ces interactions cellulaires ont été à l’origine d’innovations majeures au cours de l’évolution, comme l’acquisition du chloroplaste chez les plantes et différentes lignées de microalgues. Cependant, nous savons encore peu de choses sur la manière dont ces chloroplastes sont volés, sur la façon dont se déroule l’interaction avec le contenu cellulaire du plancton et ce qu’ils deviennent au fil du temps en termes de morphologie et physiologie.
Une interaction dans le plancton observée grâce à l’imagerie 3D de pointe et l’intelligence artificielle
Dans une étude publiée dans la revue Current Biology, des scientifiques ont disséqué une interaction polaire entre un type de plancton appelé dinoflagellé et une microalgue nommée Phaeocystis. Ils ont combiné des techniques d’imagerie avancées pour observer l’intérieur des cellules planctoniques et des techniques de photophysiologie afin d’étudier les processus physiologiques liés à la conversion de la lumière en énergie. Les images obtenues à haute résolution ont révélé la morphologie en 3D et l’organisation interne des organelles volées de la microalgue dans la cellule hôte. Après « ingestion » de la microalgue, telle une proie non digérée, son noyau grossit, ses chloroplastes gagnent en volume et deviennent plus efficaces pour la photosynthèse. La nouveauté de cette étude est l’observation de la mitochondrie de la microalgue, un autre organite qui produit de l’énergie, qui est aussi volé et forme un vaste réseau complexe en interaction avec le chloroplaste. Après plusieurs semaines, le noyau de l’algue disparaît, mais les observations en microscopie montrent que le chloroplaste et la mitochondrie restent fonctionnels pendant des mois. Cela soulève de nombreuses questions sur l’autonomie de ces organelles et du contrôle de l’hôte pour les maintenir fonctionnels. Le plancton « voleur » est ainsi une chimère composée de deux noyaux, de deux mitochondries et de chloroplastes. Des analyses de génomique environnementale démontrent d’ailleurs que ce plancton évolue dans les régions polaires aussi bien en Antarctique qu’en Arctique.
Grâce à l’imagerie subcellulaire, cette étude met ainsi en évidence une stratégie complexe dans le plancton marin, le long du continuum entre prédation et symbiose, où il vole et détourne des « usines énergétiques » au lieu de les digérer. Ces travaux améliorent nos connaissances sur les interactions et les dépendances entre cellules planctoniques dans les écosystèmes marins et dévoilent un peu plus le « bricolage du vivant » qui a façonné la biodiversité au cours de l’évolution.

Figure : Reconstruction en trois dimensions de la microalgue marine Phaeocystis et du dinoflagellé (Ross Sea Dinoflagellate) grâce à la microscopie électronique 3D. Le dinoflagellé peut voler les organelles de la microalgue comme le chloroplaste (vert) et la mitochondrie (rouge), dont la morphologie et la physiologie sont modifiées.
En savoir plus : Rao AK, Yee D, Chevalier F, LeKieffre C, Pavie M, Olivetta M, Dudin O, Gallet B, Hehenberger E, Seifi M, Jug F, Deschamps J, Wu TD, Gast R, Jouneau PH, Decelle J. Hijacking and integration of algal plastids and mitochondria in a polar planktonic host. Curr Biol. 2025 Apr 15:S0960-9822(25)00392-6. doi: 10.1016/j.cub.2025.03.076. Epub ahead of print. PMID: 40250433.
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