Mémoire de peur : les réseaux cérébraux se réorganisent au cours du temps

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Les mémoires de peur sont particulièrement fortes et résistantes à l’oubli malgré le temps qui passe. Grâce à une méthode d’imagerie cérébrale initialement développée pour les études chez l’humain, les scientifiques ont recherché, sur un modèle animal, si les réseaux cérébraux servant de support aux mémoires de peur se réorganisent au cours du temps. Leurs résultats, publiés dans la revue Cerebral Cortex, montrent que si la mémoire récente active un réseau cérébral très étendu, celui activé par une mémoire de peur ancienne est limité au cortex sensoriel.

Les mémoires de peur sont particulièrement résistantes à l’oubli comme en témoignent actuellement les récits poignants des rescapés des attentats du 13 Novembre. Tous les indices sensoriels (les sons, les odeurs, les images…) liés à ce terrible traumatisme sont gravés dans leur mémoire et peuvent resurgir des années après, avec beaucoup de force et de précision. Ces souvenirs ont laissé une trace indélébile dans leur cerveau.

L’un des acteurs clé de la formation des mémoires de peur est l’amygdale, petite structure paire en forme d’amande nichée au cœur de notre cerveau. Lorsque notre organisme rencontre un danger, l’amygdale est mise en alerte et dialogue avec d’autres aires cérébrales telles que le cortex préfrontal, l’hippocampe et les cortex sensoriels, pour constituer le réseau qui va servir de support à l’impression du souvenir dans notre mémoire.

Si ce réseau est maintenant bien connu pour les mémoires de peur récentes, il n’en va pas de même pour celui qui prend en charge les souvenirs anciens. En effet, on sait que les réseaux de la mémoire à long-terme se réorganisent au cours du temps, un processus qui peut s’étendre sur des mois, voire des années.  Ce processus connu sous le terme de consolidation des systèmes, a été mis en évidence pour des mémoires qui dépendent non pas de l’amygdale, mais plutôt de l’hippocampe, comme c’est le cas pour la mémoire spatiale ou encore la mémoire déclarative (celle des souvenirs d’évènements personnels ou de connaissances générales). Selon la théorie standard de la consolidation des systèmes, l’hippocampe se désengagerait progressivement de la trace mnésique au profit du néocortex, capable d’assurer à lui seul le stockage et le rappel d’une mémoire ancienne. 

Les scientifiques ont recherché si, comme les mémoires hippocampo-dépendantes, les réseaux des mémoires de peur amygdalo-dépendantes, étaient eux aussi l’objet d’une réorganisation au cours du temps. Ils ont abordé cette question en utilisant un modèle de mémoire de peur très utilisé chez le rat, qui consiste à présenter à l’animal une odeur qui précède l’arrivée d’un stimulus apeurant. Après quelques essais de ce type, le rat montre une réponse de peur à l’odeur, même en l'absence du stimulus aversif.

L’objectif des scientifiques était de suivre l’évolution des réseaux neuronaux mis en jeu dans cette mémoire de peur au cours du temps. Cette possibilité est offerte par les techniques d’imagerie cérébrale initialement développées pour les études chez l’humain, qui offrent de nouvelles perspectives pour les recherches précliniques. Les chercheurs ont utilisé un système d’imagerie par émission de positons adapté au petit animal. Cette technique d’imagerie fonctionnelle non invasive a permis, pour la première fois, de comparer sur les mêmes animaux les réseaux activés en réponse au rappel d’une mémoire de peur récente à ceux d’une mémoire ancienne.

Les résultats mettent en évidence une différence drastique entre les deux réseaux. Alors que le réseau activé par le rappel d’une mémoire de peur récente est constitué de nombreuses aires allant du cortex préfrontal au cervelet en passant par l’amygdale, celui activé par une mémoire de peur ancienne n’inclut qu’une seule structure : le cortex olfactif. Ces résultats apportent deux éléments nouveaux et importants dans le domaine : d’une part les mémoires amygdalo-dépendantes seraient elles aussi l’objet d’une consolidation des systèmes et d’autre part, les cortex sensoriels assureraient le stockage durable des mémoires émotionnelles.

 

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© Philippe Litaudon/Chloé Hégoburu
Figure : Lors du rappel d’une mémoire de peur récente, un large réseau de structures cérébrales est activé alors que lors du rappel d’une mémoire ancienne, seul le cortex olfactif montre une augmentation significative de son activité.

Pour en savoir plus :
PET metabolic imaging of time-dependent reorganization of olfactory cued fear memory networks in rats.
Mouly A-M, Bouillot C, Costes N, Zimmer L, Ravel N, Litaudon P
Cerebral Cortex 20 octobre 2021.
https://doi.org/10.1093/cercor/bhab376

 

Contact

Philippe Litaudon
Chercheur CNRS au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université Lyon 1/Université de Lyon)

laboratoire

Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université Lyon 1/Université de Lyon)
Centre Hospitalier Le Vinatier - Bâtiment 462 - Neurocampus
95 boulevard Pinel, 69675 Bron Cedex