Lumière sur le développement : agir au bon moment est crucial

Résultats scientifiques Développement, évolution

Dans une étude récente parue dans Development, des scientifiques montrent qu’au cours du développement embryonnaire, le moment précis où les gènes sont activés est crucial pour former correctement un organisme. Réalisée chez la drosophile, cette étude montre que des modifications, même de courte durée, du moment où une protéine entre dans le noyau pour activer certains gènes peut avoir de grandes conséquences.

L’optogénétique pour mieux comprendre le développement des embryons

Dans une étude publiée dans la revue Development, des scientifiques ont utilisé une technique basée sur la lumière pour mieux comprendre comment les gènes s’allument pendant les toutes premières étapes de la vie. L’étude a été menée chez Drosophila melanogaster, la mouche du vinaigre, un organisme modèle essentiel en biologie depuis plus d’un siècle. Malgré sa petite taille, la drosophile partage de nombreuses similarités génétiques et développementales avec l’humain, ce qui en fait un excellent modèle pour étudier la régulation génétique du développement.

Au cœur de cette recherche on trouve une protéine appelée Dorsal (Nfκb chez les Vertébrés). Cette protéine aide les cellules embryonnaires à savoir où elles se trouvent dans l’espace, en particulier pour former correctement le dos et le ventre. Dorsal agit en pénétrant dans le noyau des cellules pour activer certains gènes, orientant ainsi les cellules vers leur destinée future.

Dans le cadre d’une collaboration internationale, les scientifiques ont pu utiliser une technique moderne, appelée optogénétique. Cette méthode combine la génétique et la lumière pour contrôler le comportement de certaines protéines dans un organisme vivant. Concrètement, ils ont modifié la protéine Dorsal en lui ajoutant un petit « interrupteur ». Grâce à une autre technique appelée CRISPR, ils ont inséré ce dispositif dans l’ADN de la mouche. Lorsque l’embryon est éclairé avec une lumière bleue, ce petit interrupteur s’active et force Dorsal à sortir du noyau. Quand la lumière est éteinte, la protéine retourne naturellement dans le noyau. Cela permet aux scientifiques de choisir exactement quand Dorsal est présente ou absente dans le noyau. Cette capacité de manipuler à façon la quantité de Dorsal dans le noyau a permis aux scientifiques de s'interroger sur l'importance du timing dans l’activation des gènes cibles.

La protéine Dorsal, pour être efficace, doit agir à un moment précis.

Ils ont découvert qu’il existe une période critique pendant laquelle Dorsal doit absolument être présente dans le noyau (plus précisément, la période précoce de la vie d’un embryon, le cycle nucléaire 13). Si elle est absente, même pour un court instant à ce moment-là, certains gènes essentiels comme snail ne s’activent pas correctement. Cela provoque une mauvaise organisation des cellules dans l’embryon et peut perturber le plan d’organisation du corps, induisant ainsi une létalité embryonnaire. 

Les scientifiques ont ensuite combiné cette manipulation optogénétique, a une technique d’imagerie permettant de visualiser la fabrication de l’ARN en direct (transcription), dans un embryon en développement. Cette observation, couplée a de la modélisation mathématique a permis de mieux appréhender la dynamique de transcription c’est à dire la manière dont les ARN sont fabriqués au cours du temps et ce à l’échelle d’une cellule unique. En effet, la production d’ARN est un phénomène discontinu, se produisant par des périodes d’activité, suivies de périodes d’inactivité. Ils ont observé des changements de régimes et de cinétiques de transcription, avec des effets variables selon les manipulations de Dorsal.

Les scientifiques ont ainsi remarqué que les périodes sans nouvelle production d'ARN étaient plus courtes après l'expulsion de Dorsal au cours du cycle nucléaire précédent, et cela même si Dorsal était revenu dans le noyau au moment de l’observation. Cela montre que ce n’est pas seulement la présence de Dorsal qui compte mais aussi le moment précis où elle agit.

Cette étude souligne qu’un simple décalage de quelques minutes dans l’activation des gènes peut avoir des effets durables sur le développement. Elle illustre aussi comment l’utilisation de technologies avancées, comme l’optogénétique, combinée à des modèles bien connus comme la mouche du vinaigre et à de la modélisation mathématique, peut permettre de mieux comprendre les règles fondamentales de la vie — y compris celles qui s’appliquent à l’être humain.

© James McGehee, Angela Stathopoulos, Virginia Pimmett & Mounia Lagha

Figure : A. Schémas de la manipulation optogénétique de la protéine Dorsal dans l’embryons de drosophile. B. Images extraites de films d’embryons vivants, ayant été excités par la lumière bleue (panel de droite) ou ayant été conservés dans le noir (panel de gauche). C. L’exclusion de la protéine Dorsal pendant le cycle 13 (nc13) affecte la manière dont le gène sog est activé au cycle cellulaire suivant (nc14) : les périodes non-productives de fabrication des ARNm (périodes inactives roses) sont raccourcies, engendrant des défauts de spécification cellulaire.

En savoir plus : Pimmett VL, McGehee J, Trullo A, Douaihy M, Radulescu O, Stathopoulos A, Lagha M. Optogenetic manipulation of nuclear Dorsal reveals temporal requirements and consequences for transcription. Development. 2025 Mar 15;152(6):dev204706. https://doi.org/10.1242/dev.204706 

Contact

Mounia Lagha
Directrice de recherche CNRS

Laboratoire

Institut de génétique moléculaire de Montpellier - IGMM (CNRS/Université de Montpellier)
1919 Route de Mende
34293 Montpellier- Cedex 5 - FRANCE