Les souris ont aussi une représentation cognitive riche de leur corps

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

L’illusion de la « main en caoutchouc » montre que la manipulation astucieuse de perceptions visuelles et tactiles peut nous convaincre en quelques secondes qu’un bloc de caoutchouc en forme de bras est membre de notre corps. Dans un article publié dans PLOS Biology, des scientifiques ont montré que cette manipulation peut être déclenchée et mesurée chez la souris ce qui ouvre des perspectives importantes pour en comprendre les mécanismes.

La représentation interne du corps peut être manipulée chez l’Homme …

Depuis 20 ans, la souris est devenue un animal modèle essentiel pour les neurophysiologistes. Elle est capable d’apprendre des tâches comportementales par conditionnement opérant et le nombre de protocoles disponibles est en constante expansion, offrant aux scientifiques une boîte à outils de plus en plus riche.  Cependant, il semblait admis qu’elle était dépourvue des représentations cognitives supérieures qui sont au cœur du comportement humain.

L'une de ces capacités cognitives est la représentation interne du corps et de ses constituants — notamment les membres supérieurs — qui est essentielle aux interactions quotidiennes du « soi » avec le monde extérieur. En particulier, la perte du sentiment d’appropriation d’un membre à la suite d'une maladie ou d'un accident peut entraîner négligence et blessures accidentelles, ainsi que l'accumulation de douleurs fantômes. 

Indépendamment de toute pathologie, et malgré un sentiment très fort de stabilité de notre identité corporelle, notre représentation des composantes de notre corps peut fluctuer très rapidement, comme le montre l’illusion de la « main en caoutchouc ». Durant cette illusion, la manipulation astucieuse de perceptions visuelles et tactiles peut en quelques secondes nous convaincre qu’un bloc de caoutchouc représentant grossièrement la forme d’un bras fait partie de notre corps. Cette illusion puissante est explorée par les scientifiques pour comprendre comment aider les patients à mieux intégrer des prothèses de bras à leur corps, mais ses bases neuronales restent inconnues. 

… mais aussi chez la souris …

Dans un article publié dans PLOS Biology, les scientifiques ont montré que ce test de la « main en caoutchouc » peut être directement transposé chez la souris, à l’aide de méthodes non-invasives d’observation de l’attention de l’animal via une imagerie rapide de ses pupilles. Le comportement des souris pendant cette expérience s’est avéré très proche de ce qui est observé chez l'Homme.

… ce qui ouvre des perspectives pour mieux en comprendre les bases neuronales

Ces expériences suggèrent donc que les souris possèdent également une représentation cognitive riche de leur corps. Cela va également dans le sens de travaux récents qui montrent qu'elles peuvent réagir de manière cohérente à la tâche cognitive classique de représentation de soi dite « du miroir », et que leurs interactions sociales sont étonnamment riches, incluant l'expression de la peur ou du plaisir à travers des mimiques faciales, et le « rire » durant des épisodes de jeu avec des congénères et/ou des expérimentateurs.

Dans l'ensemble, notre étude ouvre de nouvelles perspectives de recherche chez la souris, à la fois pour explorer en général la neurophysiologie de l’appropriation des membres supérieurs, et pour identifier des stratégies permettant d'induire l'appropriation de neuroprothèses.

© Luc Estebanez

Figure : Dispositif expérimental qui transpose l’illusion de la « main en caoutchouc » chez la souris La souris est placée à proximité immédiate d’une imitation statique en plastique de son avant-bras (en jaune dans la figure). Le support (blanc) de ce bras artificiel dissimule la vraie patte de la souris. Une paire de pinceaux (bruns) vient caresser simultanément la patte de la souris et son imitation. Pendant cette expérience, la souris voit donc les contacts répétés d’un des pinceaux avec la patte artificielle, alors qu’elle perçoit de façon tactile, sur sa vraie patte dissimulée, les stimulations produites par le second pinceau. Chez l’humain, cette configuration génère la sensation que la patte artificielle fait partie du corps du sujet. Pour mesurer l’impact de cette configuration chez la souris, la direction de son regard est mesurée par des caméras rapides, ce qui permet d’estimer l’attention qu’elle prête à la patte artificielle suite au protocole d’appropriation, notamment lors de l’approche d’objet constituant une menace potentielle pour la patte artificielle. 

En savoir plus : Hayatou Z, Wang H, Chaillet A, Shulz DE, Ego-Stengel V, Estebanez L. Embodiment of an artificial limb in mice. PLoS Biol. 2025 Jun 5;23(6):e3003186. doi: 10.1371/journal.pbio.3003186. PMID: 40471872; PMCID: PMC12140191. 

Contact

Luc Estebanez
Chercheur CNRS

Laboratoire

Institut des neurosciences Paris-Saclay - NeuroPSI (CNRS/Université Paris-Saclay)
Campus CEA Saclay, 
151 route de la Rotonde, 
91400 Saclay