Les postillons observés comme jamais avec l’holographie laser rapide

Résultats scientifiques Immunologie, infectiologie

La parole génère des aérosols, vecteurs invisibles de la transmission du COVID-19 entre sujets asymptomatiques. Mesurer ce processus particulier d’atomisation salivaire est crucial pour mieux comprendre les mécanismes de la transmission aéroportée de pathogènes. Dans un article publié dans la revue Journal of Aerosol Science, les scientifiques proposent une solution pour lever le verrou technologique empêchant cette observation.

La phonation produit des aérosols, et la parole s'est révélée être un moyen de transmission viral pernicieux, invisible mais puissant ! Principaux mis en cause, les individus asymptomatiques ont été des vecteurs importants lors de la pandémie de COVID-19. Pour élaborer des stratégies globales d'atténuation et des mécanismes de contrôle de la transmission, il est essentiel de mesurer à la fois la quantité d'aérosols produite par une personne qui parle et les processus d'atomisation associés. Cependant, il est difficile de caractériser ces émissions biologiques car elles sont intermittentes, faiblement visibles, varient considérablement en taille de 1 à 1000 microns, et se forment et se déplacent rapidement, à des vitesses allant de quelques mètres à plusieurs dizaines de mètres par seconde.

Un montage expérimental simple et donc robuste
 

Dans un article publié dans la revue Journal of Aerosol Science les scientifiques présentent l'holographie numérique en ligne (DIH) comme un outil optique puissant et sans lentille permettant de surmonter bon nombre de ces défis expérimentaux. Le principe de l’holographie remonte aux travaux du physicien Dennis Gabor pour lesquels il reçut le prix Nobel en 1971. Son principe se base sur l’obtention de l’information de position et de taille d’un objet associé à l’interférence entre une onde diffusée par ce même objet et l’onde plane dite de référence qui le traverse. Dans le cadre de cette étude, l’onde en question est une onde lumineuse collimatée (dont les rayonnements sont rendus quasiment parallèles) provenant d’un faisceau laser. Lorsque l’onde plane lumineuse rencontre une goutte sur son chemin, cette onde est réémise dans toutes les directions et interfère avec le faisceau initial. Ces interférences donnent naissance à des alternances d’ombre et de lumière directement sur la puce de la caméra rapide appelées franges d’interférences. L’analyse de ces dernières et de leurs caractéristiques géométriques permet d’extraire la position et la taille de la goutte source. Le principe du montage expérimental est simple et donc robuste.

 La plosion de la consonne « P » aussi redoutable qu’un éternuement
 

En se concentrant sur l'aérosolisation induite par la parole, les scientifiques montrent la capacité de la DIH à capturer la formation rapide, l'allongement et la déformation tridimensionnelle des filaments de salive directement à la bouche d'une personne qui parle. La taille des filaments ainsi que les gouttelettes aérosolisées qui en résultent est mesurable sur une zone d'observation couvrant plusieurs centimètres cubes. Les gouttelettes produites par des consonnes plosives distinctes (/p/ et /t/) sont quantifiées et il devient possible de voir comment les filaments se déstabilisent en se déroulant avec une dynamique analogue à celle du « claquement d’un fouet ». Ces filaments émettent par leur extrémité des gouttes en forme « d’haltères rotatifs » avec des lobes liquides reliés par des fils de salive s’amincissant sur des tailles microscopiques.

Grâce à cette approche simple, les scientifiques peuvent également décrypter des fronts d'air à grande vitesse générés lors de la plosion d’une consonne telle que /p/, atteignant des vitesses de plusieurs dizaines de mètres par seconde. Une vitesse comparable aux éternuements. Ces jets d’air rapides peuvent donner naissance à des images aussi belles qu’informatives comme illustrée sur la vignette.

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© Ashley L. Nord, Patrice Dosset, Pierre Slangen, Manouk Abkarian
Figure : En haut, principe du montage expérimental d'holographie en ligne mis en place afin de mesurer la dynamique de production et la taille des aérosols produits par la parole. En bas, séquence de déformation rapide d’un filament de salive émis sur la droite et qui se déroule comme un fouet en direction de la gauche de l’image.

En savoir plus :
Ashley L. Nord, Patrice Dosset, Pierre Slangen, Manouk Abkarian. Digital in-line holography to explore saliva aerosolization mechanisms in speech. Journal of Aerosol Science, Volume 175, 2024, 106282, ISSN 0021-8502, https://doi.org/10.1016/j.jaerosci.2023.106282.

Contact

Manouk Abkarian
Directeur de recherche CNRS

Laboratoire

Centre de biologie structurale - CBS (CNRS/Inserm/Université de Montpellier)
29 rue de Navacelles
34090 MONTPELLIER - France