Les personnes âgées s’orientent aussi bien que les jeunes lorsqu’elles reçoivent les informations visuelles appropriées

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Dans une étude publiée dans la revue eLife, les scientifiques ont démontré que les personnes âgées sont tout à fait capables de s’orienter dans l’espace et de résoudre des tâches de navigation complexes, pourvu qu’elles puissent avoir accès à des informations visuelles les renseignant sur la géométrie de l’environnement. Ces résultats pourraient permettre de repenser le design urbain et architectural afin de favoriser la mobilité des personnes âgées et le maintien de leur autonomie.

Les études sur le vieillissement de la cognition spatiale chez l’homme ont toujours montré que l’avancée en âge est synonyme d’incapacité à résoudre des tâches de navigation complexes. Selon l’hypothèse la plus répandue, la « navigation allocentrique », basée sur la mémorisation des relations spatiales entre les repères de l’environnement (c.à.d. d’une carte mentale de l’espace), laisserait progressivement place à la « navigation égocentrique », reposant sur la mémorisation d’actions centrées sur soi-même (je tourne à ma gauche, puis à ma droite etc.). Fortement dépendante du point de départ, la navigation égocentrique présente de grandes limites, par exemple en cas de bouleversement de l’itinéraire (route bloquée).

Les données obtenues par les scientifiques remettent en cause cette hypothèse. L’étude révèle notamment qu’en présence d’informations géométriques pertinentes, telles qu’une asymétrie dans la forme de l’environnement, des personnes âgées réussissent aussi bien que des jeunes adultes à se réorienter et à naviguer vers un but dans une tâche de navigation complexe. Pendant une phase d’apprentissage, les participants ont pu mémoriser la trajectoire vers un but à partir toujours de la même position de départ. Puis, pendant une phase de test, la position de départ est changée à l’insu des participants. Les navigateurs âgés utilisent efficacement la géométrie de l’espace afin de s’orienter (indépendamment de la position de départ) et de planifier une nouvelle trajectoire vers l’emplacement but, révélant donc l’utilisation d’une stratégie allocentrique.

Ces résultats ont été obtenus à l’aide d’un paradigme « écologique », c’est-à-dire reproduisant des conditions proches de la réalité. Cette méthodologie s’oppose à la quasi-totalité des études précédentes, qui utilisaient des protocoles devant écran d’ordinateur, ne rendant pas possible l’intégration de toutes les informations multisensorielles et motrices à l’œuvre lors d’un déplacement en conditions réelles. La mise en place d’un paradigme écologique a été rendue possible par l’utilisation de la plateforme Streetlab, dans laquelle un labyrinthe grandeur nature a pu être construit. Cet environnement a permis d’analyser le comportement naturel ainsi que les mouvements oculaires des participants à l’étude, grâce à des capteurs de mouvement et à un oculomètre. L’analyse de ces données biométriques a permis d’objectiver comment le vieillissement sain façonne la dynamique du focus d’attention visuelle, de la posture et de la locomotion des participants pendant les phases d’apprentissage et de navigation dans le labyrinthe.

Au-delà de leur portée scientifique, les résultats de cette étude peuvent fournir un modus operandi pour optimiser le design urbain et les conceptions architecturales, notamment en mettant en évidence les informations concernant la disposition géométrique de l’environnement, afin de faciliter les déplacements des personnes âgées. Dans le but de valider ces résultats dans des conditions réelles, l’équipe scientifique vient de commencer une collaboration avec SNCF Innovation & Recherche centrée sur l’optimisation des supports d’information et des services de mobilité pour rendre les espaces publics (tels qu’une gare) plus lisibles et donc plus accessibles, facilitant l’orientation spatiale et le maintien de l’autonomie des usagers âgés.

Figure
© 2023, Hill
Figure : Dans la tâche du labyrinthe en Y, les participants prennent d'abord part à un essai d'apprentissage (en haut). Les participants sont placés à la base du labyrinthe (start). La condition “repères” (à gauche) présente une forme en Y avec des angles égaux entre les bras et trois repères entourant le labyrinthe, illustrés par des formes bleues, rouges et vertes. La condition “géométrie” (à droite) présente une forme en Y dont les angles ne sont pas égaux, ce qui constitue un repère spatial géométrique qui peut être utilisé pour la navigation. Les participants sont entraînés à localiser le bras cible en prenant un virage spécifique à la jonction du labyrinthe (par exemple, un virage à droite dans cet exemple). L'itinéraire appris est représenté en vert. Au cours des essais de test (en bas), les participants sont invités à localiser la cible à partir d'une nouvelle position de départ (le bras non ciblé). L'itinéraire emprunté lors de l'essai de test reflète la stratégie de navigation utilisée par le participant. Les itinéraires allocentriques (lignes rouges pointillées) sont ceux dans lesquels les participants utilisent les repères externes ou les différences d'angle du labyrinthe pour se diriger vers le bras cible. Les itinéraires égocentriques (lignes vertes) sont ceux où les participants répètent la réponse apprise précédemment (par exemple, tourner à droite à la jonction), ce qui entraîne une navigation vers le bras non ciblé du labyrinthe.

Pour en savoir plus :

Landmark-based spatial navigation across the human lifespan
Marcia Bécu, Denis Sheynikhovich, Stephen Ramanoël, Guillaume Tatur, Anthony Ozier-Lafontaine, Colas N Authié, José-Alain Sahel, Angelo Arleo.
eLife, 12:e81318. DOI: 10.7554/eLife.81318

Contact

Angelo Arleo
Directeur de recherche CNRS

Laboratoire

Institut de la Vision (CNRS/Inserm/Sorbonne Université)
Equipe Vieillissement visuel et action

17 rue Moreau
75012 Paris