Les muscles de la tête : nouveauté ou caractère ancestral ?

Résultats scientifiques Développement, évolution

La tête des vertébrés est une structure complexe comportant plusieurs muscles qui, contrairement aux muscles du reste du corps, ne sont pas segmentés chez l’embryon. L’analyse du réseau de gènes régulant la formation des muscles chez l’amphioxus, un cousin des vertébrés, a permis de proposer un nouveau scénario évolutif expliquant comment les muscles de la tête des vertébrés ont pu apparaître à partir de structures segmentées chez leur ancêtre. Cette étude est publiée dans la revue Nature Ecology and Evolution.

La tête des vertébrés est une structure complexe comportant plusieurs organes des sens pairs très développés (yeux, oreilles etc..), le cerveau, des muscles, du cartilage, des os et des nerfs connectés de manière à réaliser un grand nombre de fonctions. Les vertébrés font partie du groupe des chordés avec les tuniciers (ou urochordés) et les céphalochordés (i.e. amphioxus). Ni l’amphioxus ni les tuniciers ne possèdent de tête aussi complexe que celle des vertébrés et l’émergence de cette structure a probablement été associé à l’acquisition du style de vie prédateur apparu dans ce groupe.

Tandis que de nombreux laboratoires se sont intéressés à l’histoire évolutive de la tête en se focalisant surtout sur le système nerveux, les chercheurs se sont ici intéressée à l’évolution des muscles de la tête. Si les muscles du corps chez les vertébrés sont segmentés au cours du développement, ce n’est pas le cas des muscles de la tête qui se forment à partir d’un mésoderme antérieur non segmenté. Tandis que chez leur ancêtre, ainsi que chez un parent proche des vertébrés vivant aujourd’hui, l’amphioxus, ces muscles se forment à partir d’un mésoderme segmenté. Il a été proposé que ce caractère soit ancestral chez le groupe des chordés. La question se pose donc de savoir comment les muscles non segmentés de la tête des vertébrés sont apparus et en quoi cette étape évolutive a éventuellement favorisé la complexification de cette structure.

Deux hypothèses évolutives s’affrontent : (1) les muscles de la tête correspondraient à des muscles antérieurs homologues à ceux de l’amphioxus mais ayant perdu le caractère segmenté, (2) ces muscles seraient une structure totalement nouvelle apparue spécifiquement dans la lignée des vertébrés. Pour essayer d’apporter des éléments de réponse, les chercheurs ont comparé les processus développementaux permettant la formation des muscles antérieurs chez l’amphioxus et ceux mis en œuvre lors de la formation des muscles de la tête et du tronc chez les vertébrés. En utilisant des approches fonctionnelles permettant de construire le réseau de régulation génique associé à la formation des muscles, ils ont montré que les gènes maîtres de ce processus chez les céphalochordés sont les mêmes que ceux agissant dans le tronc des vertébrés et non de ceux agissant dans la tête. Ces données permettent donc de proposer une hypothèse nouvelle concernant l’apparition des muscles non segmentés de la tête qui réconcilie les hypothèses les plus souvent proposées. Ainsi, ces muscles seraient homologues uniquement d’une région des muscles d’amphioxus en formation , la région ventrale, et leur apparition serait associée à une perte de la segmentation mais aussi à la perte de la région dorsale du territoire embryonnaire formant les muscles antérieurs.

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Figure : Les muscles de la tête des vertébrés (en jaune à droite de l'image) se forment à partir d’un mésoderme antérieur non segmenté, tandis que chez leur ancêtre, ainsi que chez un parent proche des vertébrés vivant aujourd’hui, l’amphioxus, ces muscles se forment à partir d’un mésoderme segmenté (en bleue à gauche de l’image). La question se pose donc de savoir quelle est l’origine évolutive de ces muscles des vertébrés. Sont-ils des structures nouvelles apparues au cours de l’évolution ? Sont-ils dérivés des structures segmentées ancestrales, par perte de la segmentation ?
© Stéphanie Bertrand & Lydvina Meister

 

En savoir plus
Genetic regulation of amphioxus somitogenesis informs the evolution of the vertebrate head mesoderm.

Aldea D, Subirana L, Keime C, Meister L, Maeso I, Marcellini S, Gomez-Skarmeta JL, Bertrand S, Escriva H.
Nat Ecol Evol. 2019 Jul 1. doi: 10.1038/s41559-019-0933-z. [Epub ahead of print]

Contact

Hector Escriva
Chercheur CNRS au Laboratoire biologie intégrative des organismes marins (BIOM) - (CNRS/Sorbonne Université)