Les canaux à protons finalement identifiés chez les plantes

Résultats scientifiques Biologie végétale

La croissance des plantes dépend notamment du transport d’ions, des particules chargées, au travers des cellules. En particulier, la régulation des flux d’ions H+ (ou protons) au travers des membranes cellulaires a des fonctions multiples et est cruciale pour tous les eucaryotes, organismes dont les cellules ont un noyau délimité par une membrane. Dans un article publié dans la revue Nature Communications, les auteurs identifient un nouveau régulateur des flux de H+, sensible aux stimulations mécaniques, dans les cellules végétales. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives dans la compréhension des processus de développement des plantes et leurs capacités de réaction face aux contraintes environnementales.

La production de biomasse végétale représente un enjeu majeur dans le contexte des changements climatiques à venir. Le transport d’ions à travers les membranes cellulaires est un mécanisme essentiel à la croissance des plantes. Dans le sol, les racines peuvent ainsi absorber les nutriments présents sous forme d’ions, comme le nitrate ou le phosphate. La régulation des échanges gazeux au niveau des feuilles dépend également des mécanismes de transport, opérants dans les cellules végétales qui forment les stomates, de microscopiques pores à la surface des feuilles, responsables de la « respiration » des plantes. Enfin, le transport d’ions à travers les membranes cellulaires est également impliqué dans les flux des produits de la photosynthèse, sucres et acides carbonées, ainsi que de nombreuses phytohormone régulant le développement des plantes.

Le gradient de H+, une source d’énergie pour le transport d’ions
 

Parmi les différentes espèces ioniques, la régulation du flux des ions H+ à travers les membranes cellulaires est un élément fondamental et commun à toutes les cellules eucaryotes. Dans les cellules végétales, les ions H+ ont un rôle important dans de nombreux processus cellulaires impliquant la membrane plasmique, qui délimite l’intérieur de la cellule. La différence de concentration d’ions H+ aux deux faces de la membrane plasmique, le « gradient de H+ », constitue la source d’énergie permettant le transport des autres types d’ions et des sucres dans les cellules. Des enzymes membranaires spécialisées, appelées « pompes à H», utilisent l’énergie métabolique pour maintenir le gradient de H+. Elles contrôlent ainsi les échanges d’ions et métabolites entre les compartiments des cellules et entre les cellules et leur environnement.

Chez les mammifères, mollusques, champignons et algues, des canaux ioniques « voltage dépendants » sélectifs aux ions H+ (Hv) ont également été identifiés, c’est-à-dire des canaux dont l’ouverture dépend du gradient de H+. Ces canaux forment un groupe aux propriétés uniques, permettant le transport spécifique des ions H+ de manière passive, c’est-à-dire en dissipant de l’énergie au lieu d’en consommer. Dans une étude publiée dans la revue Nature Communications, des scientifiques ont réussi à mettre en évidence l’existence de ces canaux Hv au niveau de la membrane plasmique des cellules végétales.

Des canaux ioniques voltage dépendent sélectifs aux H+ sensibles aux stimulations mécaniques
 

Dans cet article, les scientifiques ont décrypté le mécanisme de fonctionnement moléculaire des canaux Hv issus d’espèces représentant différentes étapes de l’évolution des plantes : mousses, conifères et angiospermes (plantes à fleurs). Les résultats obtenus montrent que les canaux Hv des angiospermes présentent une propriété unique parmi ce groupe de canaux : pour entrer dans un état actif permettant le passage d’ions H+, ils nécessitent une stimulation mécanique. En d’autre termes, les canaux Hv des plantes à fleurs perçoivent les contraintes mécaniques auxquelles les cellules sont soumises. Afin de décortiquer les bases moléculaires de la mécano-perception de ces canaux, les scientifiques ont analysé leur structure tridimensionnelle, obtenue par intelligence artificielle, ainsi que leurs propriétés fonctionnelles par électrophysiologie, c’est-à-dire en étudiant les phénomènes électriques à l’œuvre dans la cellule.

Les canaux H+ permettent une réponse des plantes à leur environnement
 

Des études récentes montrent que les cellules végétales sont capables de percevoir et répondre aux stimuli mécaniques, environnementaux mais aussi liés à la prolifération cellulaire nécessaire au développement des tissus. Chez la plante à fleurs Arabidopsis thaliana, les scientifiques ont identifié un canal Hv,nommé AtHv1, à la fois mécano-sensible et exprimé spécifiquement dans les cellules des tissus vasculaires en voie de développement, en particulier dans les faisceaux de xylème, vaisseaux chargés du transport de l'eau et des minéraux dans la plante, au niveau des racines. L’activation des canaux AtHv1 peut donc avoir des conséquences majeures sur les propriétés de la membrane plasmique des cellules végétales en modifiant le « gradient de H+ » et donc la source d’énergie qui alimente l’ensemble des systèmes de transport d’ions. De plus, le développement des faisceaux du xylème nécessite la production de ROS, qui fait référence aux espèces réactives de l'oxygène, des molécules également impliquées dans divers processus cellulaires, y compris la régulation de la croissance et de la lignification de la paroi cellulaire. Là aussi, le canal AtHv1 pourrait avoir un rôle important en compensant électriquement par des flux de H+ le transfert d’électrons à la membrane afin d’assurer la production de ROS requise pour la lignification.

Ainsi, les données publiées suggèrent pour la première fois un lien entre la perception des contraintes mécaniques et le transport des ions H+ dans les membranes de cellules végétales. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives sur les mécanismes moléculaires qui relient la perception des stimuli mécaniques avec le transport d’ions et le développement végétal.

figure
© Creative Commons
Légende : Le canal AtHv1 est une protéine membranaire homologue à un canal ionique présent chez l’humain. AtHv1 a besoin d’être soumis à une tension dans la membrane plasmique pour être s’activé et permettre le passage des ion H+. Cette propriété unique aux canaux Hv1 des plantes à fleur, connecte les stress mécaniques de la membrane avec la régulation des flux de H+ dans les cellules végétales.

En savoir plus :
Zhao, C., Webster, P.D., De Angeli, A. et al. Mechanically-primed voltage-gated proton channels from angiosperm plants. Nat Commun 14, 7515 (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-43280-5

Contact

Alexis De Angeli
Chercheur CNRS à l' institut de Biochimie et physiologie moléculaire de plantes (BPMP)

Laboratoire

Institut des sciences des plantes de Montpellier - IPSiM (CNRS/Inrae/Université de Montpellier)
2 Place Viala, Bat 7
34060 Monptellier