Le développement embryonnaire des mammifères : quand la physique rencontre la biologie

Résultats scientifiques Développement, évolution

Le développement de l’embryon des mammifères est un processus complexe régi par des signaux biochimiques et des mécanismes physiques d’auto-organisation. Dans un article publié dans Nature Physics, des scientifiques ont utilisé des organoïdes issus de cellules souches embryonnaires pour mimer ce développement embryonnaire. Ils montrent que des écoulements tissulaires au sein de ces organoïdes sont semblables à ceux induits par l’effet Marangoni dans des gouttes de liquide et contribuent à l’émergence d’une organisation axiale à l’échelle de l’ensemble de l’organoïde.

Le développement des mammifères : un processus complexe

Le développement des mammifères est un processus complexe, difficile à étudier en raison de l’implantation de l’embryon dans l’utérus. Durant l’embryogenèse, les cellules s’organisent d’abord pour établir les axes corporels, notamment les axes antéro-postérieur et dorso-ventral, avant de former les organes. Ce processus est généralement attribué à des signaux biochimiques régulés par des voies de signalisation. 

Dans l’embryon implanté, les cellules reçoivent différentes quantités de signaux, en partie issus des tissus extra-embryonnaires. Ces doses variables provoquent la formation de gradients, qui guideraient la différenciation des cellules en fonction de leur position pour structurer l’organisation spatiale des futurs organes.

Le rôle clé des mécanismes physiques d’auto-organisation

Dans une étude publiée dans la revue Nature Physics, les scientifiques ont enrichi cette vision en révélant le rôle clé de mécanismes physiques d’auto-organisation, notamment les flux tissulaires issus du mouvement collectif des cellules. Les scientifiques ont étudié des gastruloïdes qui miment les premières étapes du développement, y compris la formation des axes corporels. Ces gastruloïdes sont obtenus à partir de cellules souches embryonnaires de souris, cellules qui sont dites pluripotentes, car capables, en fonction de leur environnement, de donner naissance à l’ensemble des types cellulaires présents dans un organisme adulte. Ces agrégats sphériques de cellules pluripotentes brisent spontanément leur symétrie et s’allongent selon un axe rappelant l’axe antéro-postérieur. Cet allongement s’accompagne de gradients de différenciation : certaines cellules restent pluripotentes, d’autres deviennent de l’endoderme (précurseur de l’intestin ou des poumons) ou du mésoderme (précurseur du cœur ou des vaisseaux).

Identification des flux tissulaires dans la rupture de symétrie de l’embryon

L’innovation majeure de cette étude réside dans l’identification de flux tissulaires à grande échelle, analogues aux flux de Marangoni observés dans les liquides. Ces mouvements sont causés par des différences de tension à la surface des cellules, elles-mêmes dues à la différenciation cellulaire. Grâce à des techniques de microscopie avancées et à la modélisation physique, les scientifiques ont montré que ces flux jouent un rôle central dans la rupture de symétrie, cruciale pour l’établissement de l’axe corporel.

Des expériences de fusion entre gastruloïdes ont confirmé que ces tensions varient selon l’expression de gènes clés, comme T/Brachyury. Ces différences de tensions génèrent des flux qui stabilisent l’axe antéro-postérieur des gastruloïdes.

Cette découverte met en lumière le rôle des interactions physiques dans l’auto-organisation embryonnaire, en complément des signaux biochimiques. Elle approfondit notre compréhension de la formation du plan corporel chez les mammifères et ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude des organoïdes et la médecine régénérative.

© Sham Tlili

Figure Au centre, un gastruloïde de 72 heures, imagé par microscopie biphotonique, avec les interfaces cellule-cellule et les espaces intercellulaires visualisés en jaune. Autour, une séquence vidéo en accéléré illustre la rupture de symétrie au cours du développement, entre 72 et 86 heures. L’expression du gène T/Brachyury, en bleu, forme progressivement un gradient associé à l’élongation du gastruloïde.

Référence : Gsell, S., Tlili, S., Merkel, M. et al. Marangoni-like tissue flows enhance symmetry breaking of embryonic organoids. Nat. Phys. 21, 644–653 (2025). https://doi.org/10.1038/s41567-025-02802-2

Contact

Correspondant communication de l'Institut de biologie du développement de Marseille (IBDM)

Laboratoire

Institut de Biologie du Développement de Marseille - IBDM (CNRS/Aix-Marseille Université)
Parc scientifique de Luminy 
163 Avenue de Luminy
13288 Marseille Cedex 9