Le Bemnifosbuvir (AT-527) stoppe la réplication du SARS-CoV-2 en ciblant simultanément deux sites actifs

Résultats scientifiques Microbiologie

Le Bemnifosbuvir (AT-527) est un candidat prometteur actuellement en essais cliniques de phase II/III pour le traitement de la COVID-19. L'AT-527 est une prodrogue qui est convertie dans les cellules en nucléoside triphosphate, l'AT-9010, qui bloque l'ARN polymérase virale dépendante de l'ARN (RdRp, nsp12) sans effet mutagène. Dans cet article publié dans la revue Nature Communications, les scientifiques présentent une structure tri-dimensionnelle obtenue par Cryo-EM à 2,98 Å de résolution du complexe SARS-CoV-2 nsp12-nsp7-(nsp8)2-RNA, montrant l'AT-9010 lié à deux sites de nsp12, la protéine coeur du complexe réplicatif.

La famille des Coronavirus compte sept membres pathogènes pour l'homme. Seuls les SARS-CoV1 et 2, et le MERS-CoV sont hautement pathogènes, mais le SARS-CoV2 est le plus contagieux, comme on peut le constater actuellement avec sa diffusion mondiale.

Les coronavirus sont des virus dont le matériel génétique est de l'ARN, et un génome environ 2 à 3 fois plus grand (~30 kb) que les virus à ARN "classiques" (virus de la Dengue, Grippe, Ebola, Hépatite C, Polio). Ces génomes de coronavirus codent pour de nombreuses protéines, qui leur permettent de se protéger, entrer dans la cellule, lutter contre sa réponse à l'envahisseur, et de se reproduire (répliquer leur ARN).

Malgré la mise à disposition de vaccins en un temps record, la dynamique de réplication de l'ARN viral et de création de variants met en difficulté le contrôle de la pandémie. Les vaccins ciblent principalement les parties externes du virus, exposées à la sélection immunitaire.

Les médicaments antiviraux peuvent cibler des parties peu variables du virus, dont la production est assistée par des enzymes (protéase, polymérase,...) qui sont identiques chez tous les SARS-CoV2 et leurs variants.

Une protéine centrale dans ce processus de multiplication est l'ARN polymérase virale : comme elle n'a pas d'équivalent dans la cellule hôte, c'est une cible très intéressante pour les traitements qui peuvent permettre, comme dans le cas du VIH ou de l'hépatite C, de contrôler la réplication du pathogène dès l'infection.

Parmi les médicaments ciblant le complexe ARN polymérase, le Favipiravir, le Remdesivir et le Molnupiravir présentent des inconvénients, comme la toxicité, un potentiel mutagène à surveiller à long terme, ou la possibilité encore inconnue de génération de variants. D'autres candidats médicaments de ce type sont rendus inopérants par une enzyme spécifique des coronavirus, l'exonucléase nsp14.

L'AT-527 est un analogue de nucléotide qui leurre le complexe ARN polymérase de plusieurs virus pathogènes humains (coronavirus, mais aussi Hépatite C, Dengue) en évitant ces inconvénients. Dans le cadre d’une collaboration avec les sociétés Atea Pharmaceuticals  (USA) et Wuxi Biortus Biosciences (Chine), les scientifiques ont réalisé des études de cryo-électromicroscopie (Cryo-EM) à haute résolution sur le complexe réplicatif exposé à l'AT-9010. Leurs travaux montrent qu'il agit comme terminateur de chaîne d'ARN viral, stoppant la synthèse de génomes viraux, et sa structure chimique ralentit environ 5 fois la vitesse de son excision par nsp14.  Ils ont eu également la surprise de trouver qu'il bloque une activité essentielle localisée dans le premier domaine de la polymérase, rendant plus difficile l'acquisition de résistance virale.

La base guanine naturelle du AT-9010 lui confère une absence potentiel mutagène. La biodisponibilité orale du AT-527, son absence de toxicité, et son double mécanisme d'action sur les sites actifs RdRp et NiRAN donnent donc à ce médicament un potentiel prometteur contre la COVID-19, mais aussi contre tous les coronavirus et leurs variants, existants ….ou à venir!

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© F.Ferron-B.Canard
Figure : Dans le site actif RdRp de nsp12, un AT-9010 est incorporé à l'extrémité 3' du brin d'ARN (AT-1). Son ribose modifié (2'-fluoro, 2'-méthyl) empêche l'alignement correct du nucléotide (NTP) entrant, dans ce cas un deuxième AT-9010 (AT-2), provoquant l'arrêt immédiat de la synthèse d'ARN. Le troisième AT-9010 est lié au domaine N-terminal de nsp12 (AT-3), connu sous le nom de domaine Nidovirus RNA-polymerase Associated Nucleotidyltransférase (NiRAN). Dans ce dernier, et contrairement aux NTP naturels, l'AT-9010 est dans une orientation inversée à celle observée dans le site actif des enzymes comparables. Sa nucléobase occupe de manière inattendue une cavité passée auparavant inaperçue. L'AT-9010 surpasse tous les nucléotides naturels pour la liaison au NiRAN, inhibant son activité nucléotidyltransférase essentielle à la croissance virale.

Pour en savoir plus :
A dual mechanism of action of AT-527 against SARS-CoV-2 polymerase
Ashleigh Shannon, Véronique Fattorini, Bhawna Sama, Barbara Selisko, Mikael Feracci, Camille Falcou, Pierre Gauffre, Priscila El Kazzi, Adrien Delpal, Etienne Decroly, Karine Alvarez, Cécilia Eydoux, Jean-Claude Guillemot, Adel Moussa, Steven S. Good, Paolo La Colla, Kai Lin, Jean-Pierre Sommadossi, Yingxiao Zhu, Xiaodong Yan, Hui Shi, François Ferron, & Bruno Canard
Nature Communications
2 février 2022. DOI: 10.1038/s41467-022-28113-1

Contact

Bruno Canard
Chercheur CNRS au Centre architecture et fonctions des macromolécules biologiques (AFMB)

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Architecture et fonctions des macromolécules biologiques (CNRS/Aix-Marseille Université)
163, avenue de Luminy, Case 925
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