L’assemblage du flagelle bactérien : un chef-d'œuvre d'optimisation biologique

Résultats scientifiques Microbiologie

Le flagelle représente un système de propulsion essentiel pour de nombreuses bactéries. Dans un article publié dans PNAS, des scientifiques, utilisant Salmonella comme modèle, révèlent qu’un flagelle de 2,5 micromètres est optimal pour la mobilité. Lors de son assemblage, la protéine qui le constitue est secrétée à une vitesse impressionnante, illustrant un équilibre entre rapidité et économie d’énergie. La compréhension de ce système de sécrétion ouvre la voie à de nombreuses applications biotechnologiques.

Le flagelle bactérien : un propulseur sophistiqué

Le flagelle bactérien est l'une des structures moléculaires les plus sophistiquées du monde microbien. Ce filament protéique, servant de propulseur aux bactéries, leur permet de se déplacer dans leur environnement, un avantage crucial pour chercher des nutriments, fuir des substances toxiques ou coloniser un hôte. 

La construction du flagelle est un processus remarquablement complexe qui nécessite la coordination d'environ vingt protéines différentes. Elle débute par la mise en place d'un système de sécrétion spécialisé dans la membrane de la bactérie. Ensuite, un "crochet" flexible est assemblé suivi du long filament composé de plusieurs milliers de sous-unités d'une seule protéine, la flagelline.

Dans une étude publiée dans la revue PNAS, des scientifiques se sont intéressés à la relation entre la longueur du flagelle et son efficacité fonctionnelle.  En synchronisant l'assemblage du flagelle chez des bactéries Salmonella enterica et en mesurant simultanément la longueur des filaments et la vitesse de nage, ils ont établi qu'un filament d'environ 2,5 micromètres était nécessaire et suffisant pour atteindre une motilité optimale. Ce seuil critique a été expliqué grâce à une modélisation biophysique qui a révélé une instabilité élasto-hydrodynamique. En dessous de 2,5 micromètres, l’élasticité du crochet flagellaire limite les mouvements du filament ; au-delà, le « moteur » du flagelle surpasse cette résistance permettant la propulsion. Cette transition abrupte entre l'immobilité et la nage active illustre comment les propriétés mécaniques du flagelle déterminent directement sa fonction.

La construction du flagelle : un système de sécrétion d’une efficacité remarquable

Les scientifiques ont ensuite développé une technique innovante de marquage séquentiel du filament flagellaire combinée à la microscopie électronique. Cela leur a permis de mesurer précisément la vitesse de croissance du filament. Ils ont ainsi découvert que la flagelline peut être sécrétée à une vitesse de l’ordre de 10 000 acides aminés par seconde, soit plusieurs centaines de fois plus rapidement que d’autres systèmes de transport protéiques connus.

La modélisation des coûts énergétiques associés a révélé que cette vitesse représente un équilibre évolutif optimal : une vitesse plus lente prendrait trop de temps pour construire un flagelle fonctionnel ; tandis qu’une vitesse plus élevée n'apporterait qu'un gain marginal d'efficacité au prix d'une dépense énergétique considérablement accrue. Ce compromis entre vitesse d'assemblage et économie d'énergie illustre parfaitement les pressions sélectives qui ont façonné ce système biologique au cours de l'évolution.

Ces travaux fondamentaux sur ce système de sécrétion très performant autorisent le développement de projets visant à exploiter cette machinerie naturelle pour transformer les bactéries en véritables "usines biologiques". Il devient en effet possible de produire des protéines d’intérêt par sécrétion et donc sans avoir à casser les cellules. Ces mêmes bactéries pourraient par exemple, dans le cadre d’une thérapie bactérienne, être injectées directement in vivo

© Thibaud Renault

Figure : A. Un système inductible permet de synchroniser l'assemblage du flagelle dans toute la population bactérienne. La longueur des flagelles (en vert, bactéries en bleu) et la vitesse de nage sont mesurées au fil du temps grâce à l'analyse d'images de microscope et aux trajectoires de déplacement des bactéries.

B. Ces données révèlent que les bactéries commencent à nager efficacement lorsque leur flagelle atteint une longueur seuil d'environ 2,5 µm. Les résultats expérimentaux correspondent à un modèle physique d'instabilité élasto-hydrodynamique, où les forces exercées deviennent suffisantes pour vaincre l'élasticité du crochet flagellaire et permettre la propulsion.

C. La technique de marquage séquentiel du filament pendant sa croissance (visualisée par microscopie de fluorescence et électronique) permet de mesurer précisément la vitesse d'assemblage du flagelle. Les résultats montrent que plusieurs dizaines de sous-unités de flagelline sont sécrétées chaque seconde, représentant plus de 10 000 acides aminés par seconde - un record parmi les systèmes de sécrétion protéique.

D. En combinant les données expérimentales avec un modèle énergétique de la sécrétion, l'étude démontre que la vitesse naturelle d'assemblage du flagelle (bande jaune) représente un compromis optimal : suffisamment rapide pour acquérir rapidement la mobilité, mais sans dépense énergétique excessive pour la cellule.

En savoir plus : M. Halte, P.F. Popp, D. Hathcock, J. Severn, S. Fischer, C. Goosmann, A. Ducret, E. Charpentier, Y. Tu, E. Lauga, M. Erhardt, & T.T. Renault. Bacterial motility depends on a critical flagellum length and energy-optimized assembly, Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 122 (11) e2413488122, https://doi.org/10.1073/pnas.2413488122 (2025).

Contact

Thibaud Renault
Chercheur CNRS

Laboratoire

Acides nucléiques : Régulation naturelles et artificielles - ARNA (CNRS/Inserm/Université de Bordeaux)
Bâtiment BBS, 
2 rue Dr Hoffmann Martinot, 
33000 Bordeaux