La régénération n’est pas une simple répétition du développement

Résultats scientifiques Développement, évolution

Tous les animaux se forment au cours de leur développement embryonnaire. Cependant seules certaines espèces ont la capacité de régénérer des parties de leur corps chez l’adulte. Dans un article publié dans la revue PNAS, les scientifiques montrent que la patte d’un petit crustacé régénère en utilisant les mêmes gènes que pendant le développement, mais pas dans le même ordre. Ces résultats suggèrent que la régénération n’est pas une simple répétition du développement et que la même partie du corps peut être formée de plusieurs façons.

Après une blessure, certains animaux ont la capacité de régénérer des parties de leur corps. La nouvelle copie est parfois indiscernable de l’originale et des scientifiques essaient de comprendre comment ces animaux réussissent à reformer si fidèlement les parties manquantes de leur corps. Comme le corps entier est initialement formé au cours du développement chez l’embryon, les organismes pourraient tout simplement réutiliser au cours de la régénération le programme génétique déjà utilisé chez l’embryon. C’est cette hypothèse que les scientifiques ont directement voulu tester chez un petit crustacé appelé Parhyale hawaiensis.

Cet animal, long d’environ 1cm, a la capacité de refaire croitre tous ses appendices amputés (tels que ses antennes et ses pattes). Pour comparer le développement et la régénération chez ce crustacé, les chercheur.e.s ont prélevé des pattes en train de repousser après amputation chez 60 adultes, à différents moments de la régénération. Ils ont aussi prélevé des pattes en train de se former sur 40 embryons. Comment alors comparer le développement et la régénération ? Ces processus sont contrôlés et exécutés par des gènes qui sont déployés dans un ordre spécifique pendant le développement et la régénération. Ces profils d’activation de gènes sont mesurables au laboratoire.

Les scientifiques ont découvert que les pattes d’embryon se forment de manière synchrone entre individus (elles ont un développement « stéréotypé ») alors que les pattes d’adulte régénèrent à des rythmes différents d’un individu à l’autre. Une des causes principales de cette variation entre individus est l’état physiologique de l’animal adulte. En effet les embryons se développent à l’intérieur de leur coquille et cette dernière constitue un environnement protégé et largement similaire pour tous les individus. En revanche les adultes sont davantage exposés à leur environnement extérieur et leurs cycles physiologiques. Par exemple les crustacés renouvellent régulièrement toute leur carapace au cours de leur vie adulte. Ce processus de mue affecte l’organisme entier. Les auteurs montrent que l’avancée dans le cycle de la mue a une très forte influence sur l’activité des gènes au cours de la régénération. Ceci constitue une première différence importante entre le développement et la régénération.

Elles/Ils ont trouvé une seconde différence. Bien que ce sont les mêmes gènes dont l’activité change au cours du développement et de la régénération, les dynamiques de changement ne sont pas du tout les mêmes pour les deux processus. Par exemple, au cours du développement, les gènes impliqués dans la multiplication des cellules sont actifs beaucoup plus tôt que les gènes qui contrôlent la forme de la patte (les cellules sont produites avant que la patte ne se « forme »). A l’inverse, ces deux types de gènes sont actifs en même temps au cours de la régénération (prolifération cellulaire et morphogénèse sont simultanées).

Ces résultats suggèrent que le petit crustacé Parhyale hawaiensis ne régénère pas sa patte comme il l’a formée dans l’embryon. Une question se pose désormais : comment deux processus différents peuvent-ils aboutir à des résultats si similaires ?

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© Mathilde Paris

Figure : Un embryon de Parhyale hawaiensis (en haut à gauche) va déployer ses gènes dans un ordre spécifique au cours du développement, par exemple pour former une patte (indiquée en rouge).  Un adulte amputé de cette patte (en haut à droite) va régénérer une patte apparemment identique en déployant ses gènes dans un ordre différent du développement.

Pour en savoir plus :
Distinct gene expression dynamics in developing and regenerating crustacean limbs
Chiara Sinigaglia, Alba Almazàn, Marie Lebel, Marie Sémon, Benjamin Gillet, Sandrine Hughes, Eric Edsinger, Michalis Averof and Mathilde Paris
PNAS 1er juillet 2022 https://doi.org/10.1073/pnas.2119297119

Contact

Mathilde Paris
Chercheuse CNRS

Laboratoire

Institut de génomique fonctionnelle de Lyon - IGFL (CNRS/ENS/Lyon I)
32-34 avenue Tony Garnier
Lyon 69007, France