La perception des voix chez le macaque dépend du contexte socio-émotionnel

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Comprendre et associer correctement les informations émotionnelles provenant des autres est essentiel pour vivre dans un groupe social complexe. Dans cette étude, publiée dans la revue Nature Communications, les scientifiques montrent que les macaques interprètent des stimuli sociaux complexes et les associent sur la base de leur signification sociale commune. En particulier, ils montrent qu’une même vocalisation provoque une forte ou faible activation du cerveau selon sa pertinence dans le contexte social.

Les interactions sociales reposent sur l’interprétation d’indices multiples dans l’environnement, chaque indice ayant des caractéristiques sensorielles, émotionnelles mais aussi sémantiques. La manière de percevoir et d’associer ces stimulations extérieures va dépendre de l’expérience de la personne, de sa capacité à entendre ou voir mais aussi de sa compréhension du contexte dans lequel ces stimulations sont présentées. Ce mécanisme permet notamment de rire en même temps que le groupe dans lequel on est, même si on n’a pas bien entendu ou compris la situation. Cela permet de renforcer les liens sociaux. Il permet également, lorsque l’on passe à côté d’un groupe d’individus, de rapidement percevoir les visages fermés ou les éclats de voix, pour anticiper une potentielle escalade des tensions. Bien que les bases neurales de l’interprétation des visages et des sons ont été identifiées chez l’homme et le primate non humain, les capacités d’association des informations visuelles et auditives en fonction de leur signification sociale commune par les macaques sont inconnues, ainsi que les mécanismes neuronaux qui sous-tendent cette association.  

Pour répondre à cette question, les scientifiques, afin d’établir un contexte social, ont présenté des visages exprimant une émotion (grimace agressive, peur, mimique d’apaisement) ou des scènes de vie à caractère émotionnel (épouillage, fuite, conflit) à des macaques rhésus. Ils leur ont ensuite fait entendre une voix portant ou non la même valence émotionnelle que le contexte établi par les visages ou les scènes. Par exemple, il leur a été présenté un contexte montrant des visages affiliatifs (macaques produisant des lipsmacks) avec des cris d’alerte ou des vocalises d’apaisement (des coos). Grâce à des mesures de fréquence cardiaque et d’imagerie à résonance magnétique, les scientifiques montrent que les macaques rhésus sont capables d’interpréter des stimuli sociaux complexes ainsi qu’à les associer sur la base de leur correspondance avec le contexte social. En particulier, l’activité cérébrales des macaques est augmentée lorsque les vocalisations correspondent émotionnellement avec les visages ou les scènes (par exemple cri d’alerte et scène de fuite) mais inhibée lorsque les vocalisations sont discordantes avec les visages ou les scènes (par exemple cri d’alerte et scène d’épouillage).

Ainsi donc, le cerveau inhibe le traitement des vocalisations lorsqu’elles ne correspondent pas au contexte social dans lequel on se trouve, expliquant pourquoi on n’entendra moins un rire si on a peur, alors que l’on sursautera au moindre cri. Par ailleurs, pour la première fois, les chercheurs montrent que les macaques associent les indices sociaux sur la base de leur contenu émotionnel de la même façon que les humains. Plus généralement, ils proposent que ce type de paradigme d’association sensorielle peut être étendu à d’autres catégories de stimuli non sociaux pour atteindre une meilleure compréhension de la cognition du primate : comment associent-ils les éléments de leur quotidien ? comment les catégorisent-ils les uns par rapport aux autres ?

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© Equipe de Suliann Ben Hamed

Figure : Réaction cardiaque et activations cérébrales à l’écoute de vocalisations selon leur correspondance émotionnelle avec le contexte visuel. A) Lorsqu’il y a discordance émotionnelle avec le contexte visuel, les vocalisations engendrent un rythme cardiaque plus important que lorsqu’elles concordent avec le contexte. B) Les vocalisations qui correspondent émotionnellement au contexte provoquent une activation forte et étendue dans le cerveau. C)  Au contraire, à l’écoute de vocalisations discordantes dans le contexte visuel, le cerveau ne s’active quasiment pas.

Pour en savoir plus : 
Socially meaningful visual context either enhances or inhibits vocalisation processing in the macaque brain.
Froesel M, Gacoin M, Clavagnier S, Hauser M, Goudard Q, Ben Hamed S.
Nature Communications 19 Aout 2022 . doi: 10.1038/s41467-022-32512-9.

Contact

Suliann Ben Hamed
Directrice de recherche CNRS

Laboratoire

Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod - ISCMJ (CNRS/Université Claude Bernard)
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