La méduse Clytia, une championne de la régénération.

Résultats scientifiques Développement, évolution

Qu’arrive-t-il à une méduse taillée en pièce par un prédateur ? Une étude, parue dans la revue eLife, décrypte les mécanismes cellulaires et moléculaires permettant à une méduse découpée en morceaux de régénérer autant de petites méduses en un temps record, de quelques heures à quelques jours. L'étude met en évidence un rôle insoupçonné et essentiel des tensions cellulaires et des fibres musculaires dans ce processus de régénération.

La mer est un milieu dangereux, d'autant plus si vous êtes une fragile et gélatineuse méduse  et cela même si vous possédez des tentacules urticants. Les méduses sont notamment la proie de nombreux animaux marins et subissent toute leur vie des blessures pouvant aller jusqu'à leur mise en pièces. Comme elles se propulsent dans l’eau grâce à leur corps en forme de cloche, une blessure peut les empêcher de nager, entrainant leur chute vers le fond de la mer. Elles possèdent en outre différents organes, pour la nutrition (la bouche), la reproduction (quatre gonades, mâle ou femelle) et la chasse (les tentacules), ceux-ci pouvant aussi être endommagés ou détruits. Il leur est donc impératif, en cas de dommage, de retrouver rapidement une forme en cloche adaptée à la nage et de régénérer leurs organes. Ces capacités de régénération avaient été observées chez certaines méduses, mais la façon dont elles parviennent à le faire restait inexplorée.

La petite méduse Clytia hemisphaerica a livré quelques-uns de ces secrets. Une méduse de cette espèce coupée en deux, quatre ou même huit fragments, reforme autant de petites méduses capables de nager, de manger et de se reproduire. Les scientifiques ont démontré que, quelle que soit la blessure infligée à la méduse, la partie restante reprend une forme en cloche en seulement quelques heures. Ce mécanisme de remodelage ne consiste pas en une reformation de la partie perdue, mais en une réorganisation de la partie restante. Dans un second temps, les organes perdus peuvent régénérer en moins d'une semaine, et notamment la bouche en seulement quatre jours. Ce processus de reformation de l'organe manquant requière lui la production de nouvelles cellules et la mobilisation de cellules souches venant de différentes parties de la méduse.

Mais comment la méduse peut-elle remodeler son corps de façon aussi rapide ? Et comment
fait-elle pour identifier quelle partie est à régénérer ? Afin de comprendre la logique sous-jacente, les chercheurs ont exploité les facultés de remodelage et régénération de la méduse Clytia, en analysant des milliers de méduses découpées de très nombreuses façons.

La reprise rapide de la forme en cloche ressemble beaucoup, dans son mécanisme, à la cicatrisation des plaies cutanées, dont nous sommes tous familiers. Une contraction des cellules autour de la blessure, en agissant comme le cordon qui renferme une sacoche, remodèle le trou jusqu’à ce que la forme de la méduse réapparaisse. Ensuite, les muscles radiaires présents sous la cloche entrent en jeu : ils se réorganisent en fonction des tensions générées par la blessure jusqu’à se retrouver comprimés en un amas proche de la blessure. Le déclenchement ou non de la régénération de la bouche est déterminé par le destin de cet amas de muscle, lui-même contrôlé par les forces se développant dans l'ombrelle au cours du remodelage. On peut ainsi prédire le site de formation de la nouvelle bouche par la dynamique de réorganisation des muscles au cours du remodelage. Ce système simple et robuste basé sur les tensions cellulaires permet à la méduse d’identifier si la bouche est manquante et si elle est à régénérer.

Chez la méduse Clytia, le rôle des muscles ne se limite donc pas seulement à la fonction conventionnelle de contraction; ils agissent aussi comme régulateurs de la régénération. Clytia rejoint le petit nombre d'espèces pour lesquelles un rôle des muscles dans le contrôle des mécanismes de régénération commence à être décrypté. Cette première étude inaugure donc la méduse Clytia comme nouveau modèle d'étude de la régénération à fort potentiel. La méduse nous ouvre de nouvelles pistes de recherche pour mieux comprendre comment la faculté de régénération est apparue chez les animaux, et pourquoi seules certaines espèces en sont pourvues.

figurre
© Lucas Leclère

Figure : Régénération d’une méduse fonctionnelle à partir d’un fragment. Huit heures après dissection (ligne pointillé), le fragment reprend une forme circulaire et peut de nouveau nager. Les fibres musculaires se rassemblent alors en un point (flèches orange), qui deviendra à son tour le site de régénération d’une nouvelle bouche. Quatre jours après dissection la petite méduse a régénéré sa bouche et son estomac (flèche orange à 4 jours), et peut de nouveau se nourrir.

 

Pour en savoir plus:

Pattern regulation in a regenerating jellyfish.
Sinigaglia C, Peron S, Eichelbrenner J, Chevalier S, Steger J, Barreau C, Houliston E, Leclère L.Elife. 2020 Sep 7;9:e54868. doi: 10.7554/eLife.54868.

Contact

Lucas Leclère
Chercheur CNRS au Laboratoire de Biologie du Développement de Villefranche-sur-Mer (LBDV)

Laboratoire

Laboratoire de Biologie du Développement de Villefranche-sur-Mer (LBDV) - (CNRS, Sorbonne Université)
Institut de la Mer, LBDV, 181 chemin du Lazaret, 06230 Villefranche-sur-Mer