La latéralisation du cerveau provient-elle de gènes régulant le squelette des cellules ?

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Les hémisphères gauche et droit du cerveau sont chacun responsables de fonctions particulières, comme par exemple le langage qui est localisé à gauche pour près de 90% de la population. Si cette asymétrie est connue depuis le XIXe siècle, son origine biologique reste un mystère. Une étude exploratoire, basée sur des cas très rares de dominance droite pour le langage, met en cause un groupe de gènes connus pour leur implication dans l'élaboration du « squelette » des cellules. Cette observation singulière est publiée dans la revue Genes, Brain and Behavior.

La latéralisation des fonctions cérébrales est un trait fondamental de l'organisation du cerveau. Décider, compter, parler, écrire, ... sont des activités mentales qui reposent préférentiellement sur l'un ou l'autre des hémisphères cérébraux. Si l'asymétrie des fonctions cérébrales est connue depuis les travaux de Paul Broca sur l'aphasie au XIXe siècle, son origine biologique reste un mystère. Concernant le langage, moins de 1% des individus, quasi exclusivement des gauchers, ont une dominance de l'hémisphère droit, alors que le reste présente dans une très grande majorité une dominance cérébrale gauche. Les cas de dominance droite pour le langage, parce qu'ils sont très rares, constituent de ce fait une population de choix pour étudier les éventuelles origines génétiques de la spécialisation hémisphérique cérébrale. Dans ce but, des chercheurs de l’Université de Bordeaux, de l’Institut Max Planck de Nimègue et de l’Université de Gand ont conçu une approche innovante combinant imagerie cérébrale et séquençage complet du génome chez ces personnes.

Les chercheurs ont d’abord mis au point une méthode statistique permettant d’établir la dominance pour le langage à partir de l'enregistrement par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF) de l'activité cérébrale de chaque hémisphère durant des tâches de production, d'écoute et de lecture de mots ou de phrases, et ce de façon individuelle comme on peut le voir sur la figure. Ensuite, un échantillon de 700 individus, dont près de 50% de gauchers, a été ainsi étudié permettant de constituer un sous-groupe de 33 personnes à dominance droite pour le langage. Enfin, le séquençage complet du génome des personnes à dominance droite pour le langage, ainsi que celui d’un groupe contrôle, a été réalisé, et des associations entre la dominance droite pour le langage et des variants rares du génome ont été recherchées.

Se basant sur le fait que l'inversion de la latéralisation du cœur ou du foie est dépendante de mutations monogéniques, les scientifiques ont d’abord cherché la présence de mutations au niveau d'un seul gène dans le groupe à dominance droite pour le langage. La présence de telles mutations sur plus de 10 génomes, combinée à leur absence du groupe contrôle, composé de personnes à dominance gauche pour le langage, aurait attesté d'un lien entre une mutation monogénique et la dominance droite pour le langage, mais rien de tel n'a été trouvé.

Les chercheurs se sont alors intéressés à un indicateur plus global, le taux de mutations observées dans des ensembles de gènes potentiellement impliqués dans les processus de latéralisation comme  l'asymétrie des viscères, l'établissement de l'axe gauche-droit pendant le développement embryonnaire, certains désordres de latéralisation ou encore des gènes suspectés dans de précédentes études. Parmi ces ensembles, seuls les gènes en relation avec le cytosquelette d'actine  présentent un nombre de mutation significativement plus élevé dans le groupe à dominance droite pour le langage, comparé au groupe témoin à dominance gauche.

Ces résultats, issus d’une alliance inédite entre imagerie cérébrale et séquençage complet du génome, nécessitent maintenant d'être répliqués dans des échantillons plus larges. Ils laissent néanmoins entrevoir l'existence de mécanismes particuliers à la latéralisation cérébrale. Si cette nouvelle hypothèse venait à être confirmée, il resterait à comprendre comment le « squelette » d'actine, en structurant la forme des cellules, influence le développement embryonnaire du cerveau.

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Figure : Haut : Illustration de la dominance typique de l’hémisphère gauche pour le langage, observée par IRM fonctionnelle chez un individu lors d’une tâche de production silencieuse de phrases. Bas : Idem pour un individu présentant une dominance atypique de l’hémisphère droit lors de l’exécution de la même tâche.
Les zones colorées correspondent aux aires cérébrales impliquées dans la tâche. Elles sont projetées sur une reconstruction tridimensionnelle de la surface des deux hémisphères.
© base de données BIL&GIN

 

En savoir plus
Genome sequencing for rightward hemispheric language dominance.

Carrion-Castillo A, Van der Haegen L, Tzourio-Mazoyer N, Kavaklioglu T, Badillo S, Chavent M, Saracco J, Brysbaert M, Fisher SE, Mazoyer B, Francks C.
Genes Brain Behav. 2019 Apr 4:e12572. doi: 10.1111/gbb.12572. [Epub ahead of print]

 

Contact

Bernard Mazoyer
Enseignant chercheur à l'Université de Bordeaux | Institut des maladies neurodégénératives (CNRS /CEA/Université de Bordeaux)