Inflammation et mémoire : une cytokine met le cerveau sous tension
Dans un article publié dans Nature Neuroscience, des scientifiques révèlent, chez la souris, comment un signal immunitaire, l’interleukine 1, perturbe la mémoire spatiale en altérant la réparation de l’ADN des neurones. Ces résultats apportent la première explication moléculaire reliant neuroinflammation et troubles cognitifs, appliquée dans le cas d'une infection chronique.
Neuroinflammation et déficits cognitifs
Lorsque des processus inflammatoires affectent le cerveau, on parle de neuroinflammation. Si celle-ci est souvent associée aux maladies neurodégénératives, elle peut également résulter d’infections aiguës ou chroniques, comme celles provoquées par le SARS-CoV-2 ou le parasite Toxoplasma gondii. Ce micro-organisme, qui persiste dans les neurones, induit une inflammation cérébrale discrète mais continue, à l’origine de troubles de la mémoire et des fonctions cognitives. Jusqu’à présent, les mécanismes reliant cette inflammation à la perturbation du fonctionnement neuronal restaient mal compris.
L’interleukine-1 : un signal pro-inflammatoire qui perturbe la mémoire
Dans un article publié dans la revue Nature Neuroscience, des scientifiques ont identifié un acteur clé : une cytokine pro-inflammatoire, l’interleukine-1 (IL-1). Ils montrent que cette molécule d’origine immunitaire altère un mécanisme essentiel à la mémoire spatiale, celui de l’équilibre entre cassures et réparations de l’ADN dans les neurones de l’hippocampe. Ces processus dits épigénétiques ne modifient pas la séquence de l’ADN, mais en influencent l’organisation et l’expression, conditionnant la plasticité neuronale et la formation des souvenirs.
En combinant approches moléculaires, génétiques et comportementales, les scientifiques démontrent que l’interleukine-1 dérègle la réponse neuronale aux cassures de l’ADN, entraînant une perte d’efficacité des circuits de mémoire spatiale. En bloquant les récepteurs neuronaux de cette cytokine ou en modulant un signal d'alarme des cassures de l’ADN, ils parviennent à prévenir les déficits mnésiques chez l’animal, même dans un contexte d’inflammation cérébrale accrue.
Ces résultats constituent la première démonstration expérimentale d’un lien direct entre signal inflammatoire et déséquilibre épigénétique dans les neurones. Au-delà de leur démonstration dans le cadre de l’infection par T. gondii, ils ouvrent des perspectives pour comprendre et traiter les troubles de la mémoire associés à des maladies inflammatoires chroniques, comme la dépression ou certaines maladies neurodégénératives, où l’interleukine-1 est également fortement exprimée.
Figure 1 : Sur cette image, on peut observer une sous-population de neurones appelés « cellules granulaires » dans la région du gyrus denté de l’hippocampe (structure cérébrale) d’un modèle murin contrôle non infecté par T. gondii. Les noyaux cellulaires sont marqués en bleu, les projections astrocytaires en vert, et les cassures double-brin de l’ADN en rouge (lorsque le marquage est agrégé, ce qui n’est pas le cas dans cette image de condition contrôle).
Figure 2 : Sur cette image, on peut observer le marquage de deux types de cellules résidentes du cerveau - microglie (vert) et astrocytes (rouge) – dans la région du gyrus denté de l’hippocampe (structure cérébrale), après administration chronique de la cytokine IL-1 ou d’une solution saline (contrôle) à un modèle murin. Le marquage bleu identifie les noyaux cellulaires.
En savoir plus : Belloy M, Schmitt BAM, Marty FH, Paut C, Bassot E, Aïda A, Alis M, Zahm M, Chaubet A, Garnier H, Flores-Aguilar T, Roitg E, Gutierrez-Loli R, Allart S, Ecalard R, Boursereau R, Ligat G, Gonzalez-Dunia D, Blanchard N, Suberbielle E. Toxoplasma gondii infection and chronic IL-1 elevation drive hippocampal DNA double-strand break signaling, leading to cognitive deficits. Nat Neurosci. 2025 Oct;28(10):2067-2077. doi: 10.1038/s41593-025-02041-x. Epub 2025 Aug 21. PMID: 40841478.
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Laboratoire
Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires - Infinity - (CNRS/Inserm/Université de Toulouse)
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