HP1, une protéine architecte déchue au travers de l’évolution

Résultats scientifiques Génétique, génomique

Dans un article publié dans la revue Nature Communications, des scientifiques ont étudié une protéine, appelée HP1, qui est impliquée dans l’organisation de l’ADN. Présente aussi bien chez la levure à fission que chez les mammifères, cette protéine peut former des « condensats » permettant de regrouper certaines régions de l’ADN. Mais cette capacité s’amenuise au travers de l’évolution jusqu’à disparaître chez la souris, laissant place à d’autres stratégies pour réguler l’expression des gènes.

Hétérochromatine Protéine 1, une architecte de l’ADN

HP1 (Hétérochromatine Protéine 1) est une protéine associée à la chromatine, qui aide à compacter l’ADN et à contrôler l’activité des gènes. Elle est largement conservée au travers de l’évolution de la levure à fission aux mammifères. Les scientifiques soupçonnent depuis longtemps qu’elle puisse rassembler l’ADN en condensats, sorte de gouttelettes, selon un processus appelé séparation de phases liquide-liquide. Ce processus permettrait de regrouper des régions d’ADN spécifiques pour former des zones d’ADN denses appelées « hétérochromatine ». Mais cette hypothèse restait controversée, car les données expérimentales sur HP1 divergent fortement selon les espèces étudiées.

Une capacité perdue chez les mammifères

Dans une étude parue dans Nature Communications, des scientifiques ont comparé directement les propriétés d’HP1 provenant de trois espèces : la levure Schizosaccharomyces pombe, la mouche Drosophila melanogaster, et la souris Mus musculus

Ils ont étudié le comportement de ces protéines in vitro et dans des cellules de mammifères. Résultat : HP1 de levure et de mouche forme bien des condensats par séparation de phases et regroupe la chromatine en structures denses. En revanche, HP1 de souris en est incapable.

Plus surprenant encore, lorsqu’on introduit les HP1 de levure ou de mouche dans des cellules de souris, elles peuvent y réorganiser la chromatine, prouvant que cette propriété est fonctionnelle dans un contexte mammifère. Cela suggère que la capacité de HP1 à former des condensats a été perdue au travers de l’évolution.

Les chercheurs relient cette perte à deux facteurs : une diminution du désordre intrinsèque dans la structure des protéines HP1 des mammifères, associé, chez ces derniers, à l’atténuation de la séparation de phase par des paralogues de HP1 (autres versions de la protéine). Autrement dit, la complexification des systèmes cellulaires pourrait avoir rendu inutile, voire indésirable, l’ancienne fonction de séparation de phases.

Enfin, même lorsque HP1 de mouche introduite dans des cellules mammifères provoque des condensats, les effets sur l’expression des gènes sont modestes. Cela suggère que l’organisation spatiale de la chromatine par séparation de phases n’est pas le principal levier de régulation des gènes, du moins chez les mammifères.

Cette étude éclaire d’un jour nouveau les relations entre organisation nucléaire, expression des gènes et évolution. Elle invite à reconsidérer le rôle fonctionnel des condensats dans les cellules et pose une question fascinante : la séparation de phases, bien qu’efficace, aurait-elle été reléguée par d’autres mécanismes plus fins au travers de l’évolution ?

© Fabian Erdel

Légende : HP1 de levure ou de mouche peuvent former des condensats qui facilitent le regroupement des régions d'hétérochromatine.

Référence : HP1 loses its chromatin clustering and phase separation function across evolution. Bensaha S, Lewandowska D, Muzzopappa F, Hutin S, Tully MD, Anfossi M, Cammas FM, Normand C, Erdel F.
Nature Communications, 10 juillet 2025, DOI : https://www.nature.com/articles/s41467-025-61749-3.

Contact

Fabian Erdel
Directeur de recherche

laboratoire

Unité de biologie moléculaire, cellulaire et du développement - MCD (CNRS/Université de Toulouse)
Centre de biologie intégrative

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