Hommage à Jacques Glowinski

Hommages

C’est à son retour de stage postdoctoral dans le laboratoire de Julius Axelrod, prix Nobel 1970 de physiologie ou médecine pour ses travaux sur les catécholamines, que Jacques Glowinski, disparu le 4 novembre 2020, installa son laboratoire, bientôt l’Unité INSERM U114, au Collège de France. Ce deuxième étage du bâtiment B deviendra le berceau de l’école française de neuropharmacologie, intitulé de la future chaire de Jacques Glowinski, créée en 1983 par l’Assemblée des professeurs de ce même Collège.

Un très grand nombre de chercheurs y ont travaillé avant d’essaimer en France, et partout dans le monde, pour y diriger des recherches fortement influencées par les années passées au contact de Jacques, « Le Glo », comme nombre d’entre nous continuent de le nommer. Impossible de les citer tous et toutes, on en oublierait forcément, mais me viennent immédiatement à l’esprit les noms de Marie-Jo Besson, France Javoy, Anne-Marie Thierry, Michel Hamon, Yves Agid, je m’arrête là. Jacques vivait la recherche comme une entreprise collective, intellectuelle mais aussi affective, et respectait chacun, sans distinction de grade ou de fonction. 

Quand on évoque Jacques Glowinski aujourd’hui, on pense d’emblée à son engagement des dernières années, alors qu’il en était l’Administrateur, pour faire du Collège de France un lieu qui honore, bien au-delà de ses grilles, notre communauté de chercheurs et d’enseignants. Référence aux grands travaux qui ont transformé la coquille de l’Institution sans en en affecter l’esprit ou les missions : Docet omnia. Cet engagement pour la communauté, il ne l’a pas exercé seulement au Collège de France. Défenseur convaincu de la recherche fondamentale, il avait aussi conscience de l’importance sociale de ses liens avec l’industrie et la médecine. En cela il avait une bonne longueur d’avance sur beaucoup d’entre nous.

Même s’il en a eu sa part, « Le Glo » ne courait pas après les honneurs ou les signes de reconnaissance et, sans doute un effet de sa modestie, nombreux sont ceux qui ne mesurent pas totalement les apports considérables de son œuvre scientifique. Devant l’impossibilité d’être exhaustif, on doit rappeler, de façon très générale, ses contributions à nos connaissances sur la physiopathologie des ganglions de la base, terme qui désigne un ensemble de structures cérébrales qui contrôlent les systèmes moteurs et sont affectées dans plusieurs pathologies, maladies de Parkinson ou de Huntington, en particulier.

Une autre contribution dont on n'a pas fini de développer les conséquences est la découverte de la dopamine corticale. Il s’agit là d’une avancée majeure, une rupture dirait-on aujourd’hui, dans le domaine de la biologie psychiatrique. Par-delà les apports de la génétique, cette découverte importante reste essentielle pour comprendre aujourd’hui et soigner, sinon guérir, demain, ces maladies qu’on dit « de l’esprit », au nombre desquelles la dépression, l’anxiété, les diverses formes de schizophrénie ou d’autisme, sans compter les pathologies liées aux drogues addictives.

Quand on commence à ouvrir la porte des souvenirs, on ne peut pas résister à l’envahissement par les images. La plupart d’entre elles sont heureuses et positives, qu’il faut retenir. Jacques fut un humain remarquable qui a su se faire aimer de beaucoup, et sa silhouette traversant la cour du Collège de France, souvent doublée de celle de Marie-Hélène Lévi, son poisson-pilote de toujours, restera longtemps imprimée sur la rétine de ceux qui ont eu la chance d’entretenir avec lui cette « conversation entre amis » qu’il affectionnait comme une forme plus intime de l’activité scientifique.

Alain Prochiantz, Professeur émérite au Collège de France et Administrateur honoraire