Faire des mathématiques à la maison influence une région cérébrale impliquée dans le traitement automatique des nombres chez l’enfant

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

L’apprentissage des mathématiques est souvent perçu comme ayant lieu dans la salle de classe. Mais il existe des disparités socio-économiques importantes dans les compétences des enfants en mathématiques, ce qui suggère un rôle également critique de l’environnement familial. En utilisant des mesures comportementales et neurocognitives auprès de plus de 60 enfants de 8 ans et leur famille, les scientifiques mettent en évidence pour la première fois l’influence des pratiques familiales sur l’activité cérébrale liée au traitement automatique des nombres chez l’enfant.  Ces résultats sont publiés dans la revue Psychological Science.

Les inégalités socio-économiques familiales sont des prédicteurs importants de la réussite scolaire des enfants, particulièrement dans le domaine des apprentissages mathématiques. Bien que les raisons à cet état de fait soient probablement multiples, un facteur important pourrait être des différences de pratiques familiales en lien avec les mathématiques. Par exemple, les occasions de parler des nombres et des mathématiques entre un enfant et ses parents peuvent être très variables d’une famille à l’autre, que ce soit dans des contextes implicites comme lors de jeux de société ou plus explicites comme lors de l’apprentissage des tables de multiplication. Il n’existe cependant à ce jour aucune étude évaluant la manière dont ces expériences en dehors de la salle de classe influencent le développement des régions cérébrales impliquées dans les mathématiques chez l’enfant.

C’est dans ce contexte que les scientifiques ont réalisé une étude impliquant des enfants de 8 ans et leurs parents. Plus de 60 familles ont ainsi été invitées au laboratoire. Après que les performances en arithmétique des enfants et de leurs parents ont été testées, les parents ont pu remplir un questionnaire sur leur vie de famille. Ce questionnaire interrogeait notamment les parents sur la fréquence de diverses activités impliquant les mathématiques réalisées avec leur enfant. Enfin, l’activité des régions cérébrales impliquées dans les mathématiques était mesurée par l’intermédiaire de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Dans un scanner IRM, il était ainsi demandé aux enfants de visualiser des séries de nombres qui pouvaient être identiques ou différents. Cette tâche permettait de mesurer le degré d’automaticité du traitement des nombres dans le cerveau.

Les analyses réalisées ont permis d’étudier les relations entre la fréquence des pratiques familiales autour des mathématiques et l’activité des régions cérébrales impliquées dans le traitement automatique des nombres chez l’enfant. Tout d’abord, les résultats ont montré que les enfants qui réalisaient le plus fréquemment des activités mathématiques à la maison étaient ceux avec les meilleures compétences en arithmétique, à condition cependant que ces activités soient suffisamment complexes et stimulantes. Les analyses statistiques réalisées à partir des données cérébrales ont surtout permis d’éclairer pour la première fois les mécanismes sous-jacents à cette relation. Ainsi, la relation entre pratiques familiales et compétences en arithmétique des enfants s’explique en partie par le degré d’automatisation du traitement des nombres dans une région cérébrale fondamentale pour les mathématiques, le sillon intra-pariétal. Autrement dit, les enfants qui étaient le plus fréquemment stimulés à la maison étaient également ceux pour lesquels le traitement cérébral des nombres était le plus efficace dans le sillon intra-pariétal. En retour, cette plus grande efficacité se traduisait par de meilleures compétences en arithmétique chez ces enfants.

Ces résultats ont des implications aussi bien théoriques que sociétales. Au niveau théorique, les rares études antérieures à avoir examiné la relation entre développement cérébral et environnement familial des enfants avaient conduit à identifier le rôle de régions liées au langage. La présente étude démontre donc que l’environnement familial des enfants peut également directement influencer l’automatisation du traitement des nombres par le cerveau. Au niveau sociétal, il est clair que l’école reste l’acteur principal des apprentissages en mathématiques chez l’enfant. Néanmoins, en montrant que les expériences familiales influencent le développement de régions cérébrales liées aux mathématiques, la présente étude souligne que ces apprentissages ne devraient pas être confinés à la seule salle de classe. Ces résultats encouragent donc à développer des interventions qui visent à la fois à informer les parents sur l’importance des activités de numératie à la maison et à développer des outils permettant d’enrichir ces dernières au sein des familles.

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Figure : Association entre pratiques familiales et activité cérébrale sur une vue de l’hémisphère gauche du cerveau. En rouge, régions cérébrales au sein desquelles l’activité associée au traitement automatique des nombres augmente avec la fréquence des pratiques familiales autour des mathématiques. La bordure jaune indique le sillon intra-pariétal.

Pour en savoir plus :
Nurturing the Mathematical Brain : Home Numeracy Practices Are Associated With Children’s Neural Responses to Arabic Numerals
Girard, C., Bastelica, T., Léone, J., Epinat-Duclos, J., Longo, L., & Prado, J.
Psychological Science, 2 février 2022  https://doi.org/10.1177/09567976211034498

Contact

Jérôme Prado
Chercheur CNRS

Laboratoire

Centre de recherches en neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université de Lyon)
Centre hospitalier Le Vinatier,
Bâtiment 462 Neurocampus Michel Jouvet
95 boulevard Pinel
69500 Bron