Et si le réchauffement climatique modifiait durablement le génome de la drosophile ?

Résultats scientifiques Développement, évolution

Cette étude, parue dans la revue Elife, montre qu'un changement de température de quelques degrés peut modifier durablement l'expression de régions particulières du génome de la drosophile. En effet, sous l'action d'une température d'élevage plus élevée (29°C au lieu de 25°C), ces régions s'activent pour produire de petits ARN non codants impliqués habituellement dans la répression des Eléments Transposables (séquences apparentées à des virus). Cet état est transmis aux générations suivantes, et ce, même si la température d'élevage revient à la normale. L'analyse de ces phénomènes épigénétiques transgénérationels montre qu'un faible changement de l'environnement peut impacter durablement l'expression de certaines régions du génome.

Les Eléments Transposables (ET) sont des séquences capables de se multiplier et de se déplacer de façon autonome dans le génome. Ils sont présents chez tous les organismes vivants. Leur capacité à "sauter" d'un endroit à l'autre en fait de potentiels agents mutagènes qui ont été maintes fois associés à des maladies humaines. Afin d'assurer une certaine stabilité du génome au cours des générations, l'activité des ET est réprimée dans la lignée germinale grâce à une famille particulière de petits ARN, les piRNAs (pour PIWI interacting RNAs), longs de 23 à 29 nucléotides. Ces piRNAs sont synthétisés à partir de régions appelés "piRNA clusters", qui sont majoritairement composés de séquences d'ET et constituent donc un réservoir de séquences à réprimer car potentiellement délétères.

Les piRNAs font partie des produits maternels déposés dans l'œuf durant la gamétogenèse et cet héritage maternel de piRNAs est un élément indispensable à l'activation des piRNA clusters à la génération suivante chez la mouche drosophile. Afin de comprendre comment les tout premiers piRNA clusters ont pu être activés en absence d'héritage maternel de piRNAs, les chercheurs ont utilisé une souche de drosophile possédant une région génomique particulière qui ressemble à un piRNA cluster mais qui ne produit pas de piRNAs.  Les chercheurs ont voulu savoir si un stress environnemental pouvait induire la production de nouveaux piRNAs. En incubant les mouches à 29°C au lieu de 25°C, ils ont montré que 2% des descendants produisent des piRNAs de cette région et que, une fois activée, cette production est stable sur plusieurs dizaines de générations, même si la température d'élevage est ramenée à 25°C.

La mise en évidence, chez la drosophile, de ces phénomènes épigénétiques transgénérationnels démontre qu'une augmentation de la température environnementale de 4°C, même transitoire, peut modifier l'expression du génome des générations futures.

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Figure : Ces deux images représentent des ovarioles de Drosophile, une sorte de collier dont chaque perle correspond à un groupe de cellules contenant un ovocyte en cours de maturation (O). Les drosophiles utilisées dans cette expérience contiennent une région particulière ne produisant pas de piRNAs (voir texte). (A) L'absence de piRNAs de cette région n'empêche pas l'expression dans les gonades femelles de la drosophile d'un transgène rapporteur contenant un gène lacZ (coloration bleue). (B) Après une génération à 29°C, la région étudiée produit de nouveaux piRNAs dans 2% des descendants. Cette neo synthèse se visualise par l'extinction de l’expression du transgène lacZ spécifiquement dans les cellules germinales (absence de coloration).

© Laure Teysset, Antoine Boivin & Karine Casier

 

 

Pour en savoir plus :

Environmentally-induced epigenetic conversion of a piRNA cluster.
Casier K, Delmarre V, Gueguen N, Hermant C, Viodé E, Vaury C, Ronsseray S, Brasset E, Teysset L, Boivin A.

Elife. 2019 Mar 15;8. pii: e39842. doi: 10.7554/eLife.39842.

 

Contact

Laure Teysset
Enseignante-chercheuse au laboratoire de biologie du développement (LBD)
Antoine Boivin
Enseignant-chercheur au laboratoire de biologie du développement (LBD)