Eclairer les mécanismes de l’évolution à la lumière de la lanterne d’Aristote et du génome de l’oursin

Résultats scientifiques Développement, évolution

Comment évoluent les génomes à l’échelle des chromosomes et des gènes et quels sont les mécanismes qui ont permis l’apparition de nouveautés morphologiques au cours de l’évolution sont des questions pressantes auxquelles les biologistes du développement et de l’évolution tentent de répondre. Le séquençage et la comparaison du génome de l’oursin Méditerranéen Paracentrotus lividus publié dans Cell Genomics, apporte des éléments de réponse à ces questions. Il révèle notamment l’existence de tendances opposées entre l’oursin et les vertébrés en ce qui concerne l’évolution de l’ordre des gènes au sein des chromosomes mais suggère en revanche une forte conservation des modules de régulation des gènes entre l’oursin et les chordés. Enfin, ces analyses révèlent l’existence de nombreux gènes dupliqués dont l’expression localisée dans de nouveaux organes pourrait être associée à l’apparition de ces structures.

L’oursin a intrigué les esprits curieux depuis l’antiquité et l’un d’eux, le philosophe et  naturaliste grec Aristote, a même laissé son nom à l’organe masticateur de ces animaux qu’il a comparé à une lanterne: la lanterne d’Aristote.  Les oursins appartiennent à l’embranchement des échinodermes, qui constitue un groupe frère des chordés et des vertébrés dans l’arbre évolutif. Les oursins ont permis nombre de découvertes majeures en biologie du développement telles que le rôle des chromosomes en tant que support de l’hérédité par Théodore Boveri ou la grande plasticité des blastomères et les processus d’induction embryonnaire par Hans Driesch et Sven Hörstadius. Du point de vue de l’évolution, les échinodermes à l’état adulte se distinguent par plusieurs « nouveautés » remarquables telles qu’un endosquelette de carbonate de calcium et un système vasculaire constitué de pieds ambulacraires mus par une circulation d’eau à l’intérieur d’un système de canaux.  A la différence des autres échinodermes, l’embryon d’oursin possède également un squelette larvaire construit par une population de cellules dont l’identité est fixée très tôt au cours du développement. 

Afin de mieux comprendre les grandes tendances de l’évolution du génome des échinodermes et les mécanismes qui sous-tendent l’apparition de ces nouvelles structures chez les oursins, les scientifiques ont comparé l’architecture du génome et le programme d’expression des gènes de l’oursin Méditerranéen Paracentrotus lividus avec ceux d’autres espèces d’oursins et avec des chordés. Les analyses réalisées révèlent que le génome des oursins est relativement stable par rapport à celui des vertébrés. Ainsi, le génome de l’oursin, comme les génomes des céphalochordés, des mollusques ou des cnidaires mais à la différence des génomes de vertébrés, semble avoir préservé une organisation en chromosomes ancestraux (ou groupe de liaison ancestraux) présents chez les animaux depuis des centaines de millions d’années. Cependant, de façon inattendue, les scientifiques ont découvert que, à une échelle plus fine, l’ordre des gènes au sein des chromosomes (microsynténie) évolue à grande vitesse entre les espèces d’oursins, ce qui fait que l’ordre des gènes chez une espèce d’oursin donnée est très différent de celui présent chez une autre espèce d’oursin.

L’analyse du contenu en gènes de ce génome révèle par ailleurs l’existence de nombreux gènes dupliqués dont l’expression localisée dans des organes tels que la lanterne d’Aristote, le système vasculaire aqueux ou dans le mésenchyme à l’origine du squelette embryonnaire pourrait être associée à l’apparition de ces structures. Enfin, des comparaisons de l’expression temporelle des gènes par la technique de séquençage de l’ARN (RNA-seq) et des modules de régulation en cis des gènes par la technique de mesure de l’accessibilité de la chromatine (technique ATAC-seq) entre l’oursin et les chordés suggèrent une profonde conservation des mécanismes et de la logique régulatrice contrôlant le développement embryonnaire.

Cette étude met donc en lumière l’existence d’une forte conservation du programme d’expression de gènes au cours du développement embryonnaire malgré des tendances très distinctes au niveau de l’évolution des génomes des échinodermes et des vertébrés. Elle souligne également le rôle potentiel que pourraient jouer les duplications de gènes dans l’apparition de nouvelles structures chez les échinodermes. 

Figure
© T. Lepage 
Figure. Panneau gauche, haut : comparaisons de la structure chromosomique entre l’homme et la souris montrant l’existence de nombreux réarrangements inter-chromosomiques mais la présence de long segments colinéaires entre les deux espèces. Panneau gauche, bas : comparaison de la structure du chromosome 1 entre deux espèces d’oursin révélant l’absence de conservation de l’ordre des gènes  visibles au sein d'une paire de chromosomes homologues. Panneau droit : comparaisons du programme d’expression génique temporel (RNA-seq) et des modules de régulation des gènes (ATAC-seq) entre l’oursin et les chordés révélant une conservation importante du programme de développement et des modules de régulation en-cis des gènes. 

Pour en savoir plus : 
Analysis of the P. lividus sea urchin genome highlights contrasting trends of genomic and regulatory evolution in deuterostomes.
Ferdinand Marletaz, Arnaud Couloux, Julie Poulain, ..., Maria Ina Arnone, Christian Gache, Thierry Lepage

Cell Genomics (2023). DOI: https://doi.org/10.1016/j.xgen.2023.100295

Contact

Thierry Lepage
Directeur de recherche CNRS

Laboratoire

Institut de biologie Valrose – iBV (CNRS/Inserm/Université Côte d’Azur)
Université Côte d'Azur - Bâtiment Biochimie - Faculté de science
Parc Valrose
06108 Nice