Dopamine et stress : les dessous biologiques de l’organisation sociale enfin révélés

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Les mécanismes biologiques qui conduisent à l’émergence d’une organisation sociale sont mal connus. Dans une colonie, les souris de rang social élevé sont plus sociables, plus anxieuses et ont une activité réduite de certains neurones à dopamine. Si la sociabilité est un trait qui préexiste à la vie en colonie l’anxiété est engendrée par celle-ci. Des scientifiques, dans un article publié dans la revue Biological Psychiatry, ont ainsi démontré que diminuer l’activité des neurones à dopamine, ou bloquer la réponse au stress dans les neurones sensibles à la dopamine facilite l’accès à un rang social élevé.

La plupart des espèces animales vivent selon une organisation sociale dans laquelle les individus ont des rôles et des comportements distincts. Cette organisation limite le coût des compétitions entre congénères pour l’accès aux ressources disponibles et peut faciliter l’adaptation d’un groupe à des environnements changeants. Elle expose chaque membre d’un groupe à des expériences particulières et participe à l’émergence d’une individuation des comportements. Les règles qui conduisent à l’émergence d’une organisation sociale sont mal connues. Des scientifiques, dans un article publié dans la revue Biological Psychiatry, viennent de mettre à jour chez la souris l’un des mécanismes régissant sa mise en place

La hiérarchie ne repose pas uniquement sur des critères génétiques
 

Mettez ensemble quatre souris qui ne se connaissent pas. En quelques jours, une hiérarchie sociale s’établit et reste stable au fil du temps. Un test de préséance dans un tube étroit permet de la détecter. Les souris cèdent le passage à celles de rang plus élevé. Cette hiérarchie ne repose pas uniquement sur des critères génétiques puisqu’elle s’établit aussi avec des souris génétiquement identiques, comme celles utilisées dans cette étude. Les scientifiques ont montré que la sociabilité et l’anxiété étaient plus marquées chez les souris de rangs élevés. Ces différences de comportement sont-elles la cause ou la conséquence des différences de rangs sociaux ? Pour le savoir, les scientifiques ont étudié les comportements des individus avant et après leur vie en groupe. Ils ont montré que la sociabilité est un trait qui préexiste chez les futurs individus de rang élevé, et influence probablement leur futur rang social. Chez ces mêmes individus, en revanche, l’anxiété est engendrée par l’établissement d’une hiérarchie.

Augmenter le rang social ? Bloquez l’activité des neurones à dopamine ou les récepteurs des hormones de stress
 

Les individus de rangs différents ne se distinguent pas que par des différences de comportements mais présentent aussi des différences physiologiques, comme l’activité de certaines populations neuronales. Dans l’« aire tegmentale ventrale », une structure cérébrale localisée à la base du cerveau et impliquée dans la motivation et les récompenses, les neurones à dopamine sont moins actifs chez les souris de rang élevé. Les scientifiques ont démontré un lien causal entre cette diminution et le fait d’atteindre un rang élevé. Ils ont artificiellement diminué l’activité des neurones à dopamine de cette région cérébrale et ont observé que cela augmentait le rang social. Dans des études précédentes, les chercheurs avaient mis en évidence que l’interaction entre dopamine et réponse au stress participait à l’ajustement du comportement à un environnement social agressif. Il en est de même dans l’établissement d’une structure sociale. Un blocage du récepteur des hormones de stress dans les neurones sensibles à la dopamine élève le rang social.

Être de « rang bas » rend vulnérable aux drogues d’abus et à la dépression  
 

Finalement, les souris de rang bas répondent plus fortement aux drogues d’abus et sont plus sensibles dans un modèle de dépression. Ces résultats font écho aux travaux chez l’humain établissant un lien entre statut social et vulnérabilité aux psychopathologies, et permettent ainsi d’envisager un mécanisme biologique derrière ce phénomène.

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© F Tronche
Figure : Le rang social des individus d’une colonie de souris peut être déterminé par le test « du tube ». En haut, deux souris génétiquement identiques de la lignée C57BL/6 à côté du tube en plastique utilisé.  En bas, Une colonie de quatre souris (tétrade) ne se connaissant pas est formée. Deux semaines après, la hiérarchie sociale est déterminée par un test de préséance. Chacune des six paires possibles est testée. Chaque souris est placée à une extrémité du tube. Celle qui en sort à reculons en laissant passer l’autre est d’un rang inférieur, ce qui permet d’identifier chacun des quatre rangs. Une fois formée, cette organisation est stable.

En savoir plus :
Dopamine neuron activity and stress signalling as links between social hierarchy and psychopathology vulnerability. Dorian Battivelli, Cécile Vernochet, Estelle Conabady, Claire Nguyen, Abdallah Zayed, Ashley Lebel, Aura Carole Meirsman, Sarah Messaoudene, Alexandre Fieggen, Gautier Dreux, Daiana Rigoni, Tinaïg Le Borgne, Fabio Marti, Thomas Contesse, Jacques Barik, Jean-Pol Tassin, Philippe Faure, Sébastien Parnaudeau*, François Tronche*, *co-derniers et auteurs de correspondance. Biological Psychiatry. doi : 10.1016/j.biopsych.2023.08.029

 

Contact

François Tronche
Chercheur CNRS
Sébastien Parnaudeau

Laboratoire

Neurosciences Paris-Seine - NPS (CNRS/Inserm/Sorbonne Université) 
Institut de Biologie Paris-Seine
9 quai Saint Bernard
75005 Paris