Différenciation de la surrénale : un rôle clé du facteur épigénétique EZH2
La glande surrénale produit des hormones glucocorticoïdes et minéralocorticoïdes essentielles pour la survie de l’organisme. Cette production hormonale dépend d’un processus complexe de recrutement et de différenciation de cellules progénitrices. Grâce à un modèle de souris invalidées génétiquement, les chercheurs viennent de montrer que le facteur épigénétique EZH2 est essentiel pour permettre la différenciation des cellules progénitrices en cellules capables de produire des hormones. Son inactivation conduit à une insuffisance surrénalienne en glucocorticoïdes, suggérant que des altérations de EZH2 pourraient être impliquées dans ces maladies potentiellement fatales chez l’Homme.
Les surrénales sont des glandes endocrines (qui fabriquent des hormones) situées aux pôles supérieurs des reins. Elles sont l’organe principal de la réponse au stress et sont constituées de deux tissus. Au centre, la médullosurrénale qui fabrique l’adrénaline et à la périphérie, la corticosurrénale qui fabrique les corticostéroïdes tels que le cortisol (équivalent naturel de la cortisone, anti-inflammatoire fréquemment prescrit) et l’aldostérone.
L’absence de production d’hormones par la corticosurrénale est potentiellement mortelle et nécessite un traitement hormonal substitutif à vie, qu’il est difficile d’équilibrer. A contrario, une production accrue d’hormones surrénaliennes se caractérise par des dérèglements profonds du métabolisme (obésité et fonte musculaire) et une hypertension artérielle sévère.
L’activité de production hormonale de la surrénale dépend du développement harmonieux de la glande qui est caractérisé par la mise en place de zones tissulaires concentriques distinctes. La zone externe, ou zone glomérulée, est caractérisée par une organisation des cellules en rosettes, responsables de la production d’aldostérone. La zone interne, ou zone fasciculée, est caractérisée par une organisation cellulaire en cordons, responsables de la production de cortisol.
Au cours de la vie de l’individu, les cellules de la corticosurrénale sont en renouvellement constant : après multiplication, des cellules progénitrices provenant de la périphérie de la glande vont d’abord se différencier en cellules de glomérulée formant des rosettes, puis progressivement migrer vers l’intérieur du tissu en changeant d’identité pour devenir des cellules de fasciculée, s’organisant en cordons. Nous avons précédemment montré que les voies de signalisation WNT et PKA fournissent les signaux responsables de l’acquisition de l’identité de chacune des zones en fonction de la position de la cellule au cours de sa migration. Nous avons également montré que la dérégulation de ces voies de signalisation pouvait conduire à des pathologies d’hyperactivité de production hormonale ou au développement de tumeurs. Il restait toutefois à comprendre quels mécanismes moléculaires permettaient aux cellules progénitrices de se différencier en cellules capables de produire des hormones et de maintenir la mémoire de cette différenciation au cours de leur migration et tout au long de la vie.
Les facteurs épigénétiques sont capables de mémoriser un état de différenciation cellulaire en modifiant la chromatine par la déposition de marques sur les histones qui assurent la compaction de l’ADN dans les nucléosomes. Parmi ces facteurs, la protéine EZH2 est capable de bloquer l’expression de nombreux gènes en méthylant le résidu lysine 27 de l’histone H3 (H3K27me3).
Ce travail, publié dans la revue PNAS, montre que dans la corticosurrénale, EZH2 est exprimé dans certaines cellules progénitrices au moment de leur engagement dans la différenciation, suggérant qu’il pourrait participer à l’acquisition de l’identité cellulaire et à son maintien. Afin de tester cette hypothèse, les chercheurs ont inactivé EZH2 génétiquement dans la corticosurrénale, grâce au système Cre/LoxP. L’analyse de ces souris KO montre que l’inactivation de EZH2 est associée à un défaut majeur de différenciation de la zone fasciculée, qui conduit à une insuffisance en glucocorticoïdes. Ce défaut de différenciation s’explique par la surexpression d’enzymes capables d’inactiver la voie de signalisation PKA et dont l’expression est normalement bloquée par la mise en place de la marque H3K27me3. Cette insuffisance en glucocorticoïdes est semblable à l’insuffisance familiale en glucocorticoïdes retrouvée chez l’Homme, suggérant que des altérations de EZH2 pourraient être impliquées dans ces maladies potentiellement fatales.
L’inactivation de EZH2 conduit également à l’accumulation d’un grand nombre de cellules progénitrices anormales à la périphérie de la glande surrénale. Grâce à l’utilisation d’un système de lignage cellulaire permettant d’identifier l’origine de ces cellules, les chercheurs ont pu montrer que ces progéniteurs anormaux sont issus de la perte de différenciation de cellules qui avaient initialement la capacité de produire des hormones surrénaliennes. Cette perte de différenciation est liée à une surexpression de GATA4 et WT1, deux facteurs du développement embryonnaire précoce de la surrénale dont l’expression est normalement éteinte par EZH2 après les étapes initiales de formation de la surrénale. Globalement, ces résultats montrent un rôle essentiel de EZH2 pour initier et maintenir la différenciation des cellules corticosurrénaliennes afin de produire des quantités normales de glucocorticoïdes.
Dans la surrénale normale (A), EZH2 met en place des marques épigénétiques sur des gènes clés de la différenciation de la surrénale, impliqués dans le contrôle de la signalisation PKA et le développement. Ceci permet le maintien de l’identité des cellules qui produisent les glucocorticoïdes et un renouvellement normal de la surrénale qui part des cellules souches vers les cellules de la zone glomérulée qui se différencient ensuite en cellules de la zone fasciculée. En absence de EZH2 (B), les marques épigénétiques ne sont pas mises en place. Les cellules qui produisent normalement les glucocorticoïdes perdent leur identité. Par ailleurs, le renouvellement est perturbé car le flux de cellules ne se fait plus dans le sens cellules souches vers glomérulée puis fasciculée, mais dans le sens inverse. Ceci conduit à l’accumulation de cellules souches anormales. Au final, les surrénales ne sont plus capables de produire des niveaux normaux de glucocorticoïdes, conduisant à une insuffisance surrénale.
© Pierre Val
En savoir plus
-
Steroidogenic differentiation and PKA signaling are programmed by histone methyltransferase EZH2 in the adrenal cortex.
Mathieu M, Drelon C, Rodriguez S, Tabbal H, Septier A, Damon-Soubeyrand C, Dumontet T, Berthon A, Sahut-Barnola I, Djari C, Batisse-Lignier M, Pointud JC, Richard D, Kerdivel G, Calméjane MA, Boeva V, Tauveron I, Lefrançois-Martinez AM, Martinez A, Val P.
Proc Natl Acad Sci U S A. 2018 Dec 12. pii: 201809185. doi: 10.1073/pnas.1809185115. [Epub ahead of print]