Des scientifiques lisent les « pensées » des souris sur leur visage
La « lecture de pensée » évoque des images de scanners futuristes, mais une étude publiée dans Nature Neuroscience démontre qu'une simple vidéo pourrait suffire. En utilisant des techniques d'apprentissage automatique (machine learning), des scientifiques ont montré, chez la souris, que les mouvements faciaux reflètent leurs pensées cachées. Cette découverte pourrait offrir un aperçu sans précédent du fonctionnement du cerveau, mais signale également la nécessité de prendre en compte des mesures de protection de la vie mentale privée.
Lire dans les pensées ?
Il est facile de lire les émotions sur un visage humain — chacune a sa signature claire et sans équivoque. Mais peut-on aussi deviner ce que quelqu’un pense ? Une étude publiée dans Nature Neuroscience montre que c’est peut-être possible, au moins chez la souris. Les scientifiques ont montré que leurs mouvements de visage révèlent leurs stratégies de réflexion. Selon eux, c’est une preuve que le contenu de l’esprit peut être décrypté à partir de simples vidéos, ouvrant la voie à de nouveaux outils de recherche et de diagnostic.
« À notre grande surprise, nous avons découvert que nous pouvions obtenir autant d'informations sur ce que la souris "pensait" qu'en enregistrant l'activité de dizaines de neurones », a déclaré l'auteur Zachary Mainen, chercheur à la Fondation Champalimaud au Portugal. « Avoir un tel accès aux contenus cachés de l’esprit pourrait représenter un atout majeur pour la recherche sur le cerveau. Toutefois, cela souligne également la nécessité de commencer à réfléchir à des réglementations pour protéger notre vie mentale privée. »
À quoi pensent les souris ?
Dans une étude publiée en 2023, les mêmes scientifiques avaient mis les souris face à un petit défi : trouver lequel de deux distributeurs d'eau fournissait une récompense sucrée. Comme le bon distributeur changeait régulièrement, les souris devaient développer des stratégies pour faire le bon choix.
« Nous savions que les souris pouvaient résoudre cette tâche en utilisant différentes stratégies, et nous pouvions identifier la stratégie utilisée en observant leur comportement », explique Fanny Cazettes, première auteure de l'étude et aujourd’hui chargée de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique et à l'Université d'Aix-Marseille. « Nous nous attendions à ce que les neurones dans le cerveau des souris ne reflètent que la stratégie qu'elles utilisaient, mais en fait, toutes les stratégies étaient présentes simultanément, indépendamment de celle que la souris utilisait à ce moment-là. »
Cette découverte a conduit l’équipe à se poser une nouvelle question : ces stratégies visibles dans le cerveau, pouvaient-elles aussi se refléter sur le visage ?
Le visage, miroir de l'esprit
Pour le vérifier, les scientifiques ont enregistré les mouvements faciaux des animaux en parallèle de l’activité neuronale dans leur cerveau, puis ont analysé ces données à l’aide d’algorithmes d’apprentissage automatique. Les résultats sont frappants : les mouvements du visage étaient tout aussi informatifs que l’enregistrement des populations de neurones.
« Le plus surprenant, c’est que les mêmes expressions correspondaient aux mêmes stratégies chez différentes souris », souligne Davide Reato, co-auteur de l’étude, chercheur à l’Université d’Aix-Marseille et à Mines Saint-Étienne.
« Cela suggère que certains schémas de pensée se traduisent par des expressions faciales stéréotypées, un peu comme les émotions. »
Une nouvelle manière d’étudier le cerveau
Pour les scientifiques, ces résultats ouvrent la voie à des méthodes d’étude du cerveau non invasives, permettant de mieux comprendre son fonctionnement chez l’animal, et peut être un jour chez l’humain. Mais cette avancée pose aussi des questions éthiques : dans un monde où les caméras sont partout, comment protéger notre vie mentale privée ?
« Notre étude montre que les vidéos ne sont pas seulement des enregistrements de comportements — elles peuvent aussi offrir une fenêtre détaillée sur l’activité cérébrale. Même si cela est enthousiasmant d’un point de vue scientifique, cela soulève aussi des questions sur la nécessité de protéger notre vie privée », a conclu Alfonso Renart, auteur de l’étude et chercheur à la Fondation Champalimaud au Portugal.
Texte original de Liad Hollender, rédacteur scientifique indépendant et créateur de contenu, remanié par Daniel Boujard, délégué scientifique à CNRS Biologie.
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Institut de neurosciences de la Timone - INT (Aix-Marseille université/CNRS)
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