De la vie sexuelle des méduses

Résultats scientifiques Développement, évolution

La reproduction sexuée permet le brassage de l’information génétique à chaque génération. Une étude, publiée dans la revue Science Advances, montre que des méduses rendues incapables de mélanger leurs chromosomes restent cependant fertiles et produisent une descendance ayant plusieurs copies du génome initial. Ces travaux nous éclairent sur l’évolution des mécanismes gouvernant la reproduction sexuée et permettront de mieux comprendre comment de nouvelles espèces animales peuvent apparaître.

La méduse Clytia hemisphaerica possède l’incroyable capacité de se reproduire de manière asexuée ou sexuée. Elle se reproduit de manière asexuée sous forme de polypes qui se développent sur les fonds marins, et qui lorsqu’ils sont coupés, peuvent régénérer des polypes génétiquement identiques. Ces polypes peuvent aussi produire des méduses, au sens strict, qui sont portées par les courants marins, et qui possèdent des gonades mâles ou femelles. Ces gonades produisent des cellules germinales spécialisées dans la reproduction sexuée, qui sont les ovocytes pour les femelles et les spermatozoïdes pour les mâles. Ces ovocytes et spermatozoïdes sont issus de la méiose et contiennent des combinaisons génétiques nouvelles et uniques, contrairement à la reproduction asexuée. En effet, des échanges aléatoires de parties de chromosomes entre la copie du génome provenant du père et celle provenant de la mère ont lieu au cours des premières étapes de la méiose,. Ces échanges sont initiés par des cassures de l’ADN catalysées par une enzyme spécialisée et conservée chez toutes les espèces à reproduction sexuée, appelée Spo11. Pour réparer ces cassures de l’ADN sur un chromosome, la machinerie cellulaire va rechercher une copie sur le deuxième chromosome homologue. Les deux chromosomes homologues sont donc proches spatialement dans le noyau pendant ces étapes : ils sont appariés. Étonnamment, qui est cause et qui est conséquence entre les cassures de l’ADN et l’appariement des chromosomes homologues varient d’une espèce à l’autre. Chez la souris et le poisson-zèbre, les cassures de l’ADN sont nécessaires pour l’appariement, alors que chez la drosophile et le vers C. elegans, les chromosomes s’associent par paire sans avoir besoin de cassures ni de Spo11.

Dans cette étude, les scientifiques ont muté à l’aide du système CRISPR/Cas9 le gène codant pour Spo11 chez la méduse Clytia. Dans ces méduses mutantes, il n’y a pas de cassure de l’ADN pendant la méiose, ni d’appariement des chromosomes ni échange d’information génétique. Première surprise, les mécanismes de la méiose chez cette méduse apparaissent donc plus proches d’animaux vertébrés comme la souris et le poisson, que d’invertébrés comme la drosophile et le vers. Les méduses appartiennent pourtant aux cnidaires, qui ont une symétrie radiaire, alors que la souris et les poissons sont des bilatériens avec une symétrie droite-gauche. La nécessité d’avoir des cassures d’ADN pour apparier les chromosomes homologues apparaît donc ancestrale à la séparation de ces deux embranchements.

Deuxième surprise, malgré ces défauts de méiose au cœur de la reproduction sexuée, ces méduses mutantes restent fertiles et donnent une descendance polyploïde, c’est-à-dire ayant plusieurs copies du génome. Cette descendance polyploïde apparaît elle-même fertile et pourrait évoluer comme une nouvelle espèce avec une spécialisation des gènes présents en plusieurs copies.

Les scientifiques s’attachent maintenant à comprendre comment ces individus polyploïdes sont capables de réaliser la méiose avec de multiples copies de chaque chromosome.

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© Catriona Munro

Figure : Chromosomes en méiose
A gauche : Dans une méduse sauvage, deux chromosomes homologues forment une croix indiquant un échange matériel génétique au point de rencontre, appelé crossing-over.
Au milieu : Dans une méduse mutante pour le gène Spo11, il n’y a pas de cassure de l’ADN et les chromosomes restent séparés.
A droite : Chromosomes en méiose d’une méduse mutante ayant trois copies du génome. En magenta et vert deux protéines différentes du complexe synaptonémal.

Pour en savoir plus :
Conserved meiotic mechanisms in the cnidarian Clytia hemisphaerica revealed by Spo11 knockout.
Munro C, Cadis H, Pagnotta S, Houliston E, Huynh JR.
Science Advances 2023 Jan 27;9(4):eadd2873. doi: 10.1126/sciadv.add2873

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Laboratoire « Evolution et développement de la lignée germinale »
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