Coronavirus : un nouveau moyen pour contourner leur résistance aux antiviraux

Résultats scientifiques Microbiologie

Les analogues nucléosidiques (AN) sont des antiviraux très utilisés en thérapie. Les virus les confondent avec les nucléotides naturels et les incorporent dans leur ARN, corrompant ainsi leur matériel génétique. Mais les Coronavirus peuvent réparer leur ARN, annulant cet effet antiviral. Dans un article, publié dans la revue Nucleic Acids Research, les scientifiques montrent comment une simple modification chimique peut contrer complètement cette capacité de réparation. Cette approche pourrait restaurer la puissance des NAs existants dans la lutte contre les coronavirus. 

Au cours des 20 dernières années, les virus +RNA de la famille des Coronaviridae (CoV) ont représenté un risque important pour la santé humaine à l'échelle mondiale. Les épidémies de coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003 et du coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) en 2012 ont provoqué des infections respiratoires aiguës et des pneumonies chez l'Homme, avec des taux de létalité de ~10 % et ~35 %, respectivement. Plus récemment, la pandémie dévastatrice de COVID-19 causée par le SARS-CoV-2 a fait près de 7 millions de morts.

Les coronavirus sont un groupe de virus à ARN dont le génome est en moyenne trois fois plus grand que celui d'autres virus à ARN pathogènes pour l'homme (par exemple, ceux des virus de la dengue, de l'hépatite C, ou de la poliomyélite). Ces longs génomes codent pour de nombreuses protéines, dont beaucoup sont des "enzymes de réplication" responsables de la reproduction virale (amplification de l'ARN pour le passage à la progénie).

Une classe de médicaments pour corrompre l'ARN viral
 

De nombreux médicaments antiviraux actuellement utilisés pour traiter les infections virales ciblent ces enzymes de réplication virale afin de bloquer leur activité. Parmi les protéines virales les plus ciblées, on trouve l'ARN polymérase virale, qui joue un rôle central dans le processus de réplication virale. La polymérase crée des copies de l'ARN viral pour les transmettre aux virus de la progéniture. Toutefois, ce processus peut être perturbé par le traitement avec une classe de médicaments connus sous le nom d'analogues nucléosidiques (AN). Ces derniers imitent les nucléotides natifs, trompant la polymérase virale en les insérant dans l'ARN viral. Une fois insérés, leurs diverses modifications chimiques corrompent l'ARN viral et/ou bloquent la synthèse ultérieure. Cette classe de médicaments est l'une des classes d'antiviraux les plus efficaces, avec plus de 30 analogues nucléosidiques approuvés pour le traitement d'une grande variété d'infections virales, dont l'herpèsvirus, le virus de l'immunodéficience humaine (SIDA), et le virus de l'hépatite C.

Cependant, les analogues nucléosidiques doivent surmonter un obstacle supplémentaire lorsqu'ils sont confrontés aux coronavirus. Ces virus à grand génome possèdent une protéine de réparation unique (l'exonucléase), capable d'éliminer les analogues nucléosidiques insérés et de rétablir ainsi la réplication virale. Cela réduit considérablement la puissance et l'efficacité de nombreux analogues nucléosidiques existants et constitue un défi important pour le traitement des infections à coronavirus.

Un potentiel thérapeutique inexploité contre les coronavirus
 

Dans cet article, les scientifiques montrent qu'une modification d'un seul atome d'un analogue nucléosidique existant (AT-9010) le rend complètement résistant à ce processus de réparation. La substitution d'un des atomes d'oxygène non pontant de l'alpha-phosphate par du soufre (modification thio) donne un nouveau NA - AT-9052, qui peut exister dans deux conformations isomériques (Rp et Sp). Une seule de ces conformations (AT-9052-Sp) est acceptée par la polymérase virale pour être incorporée dans l'ARN viral. Fait remarquable, ce même isomère, une fois inséré, ne peut être éliminé par l'exonucléase du coronavirus. La réplication virale ne peut donc pas être sauvée et la synthèse est complètement bloquée, ce qui donne des ARN viraux tronqués et non fonctionnels.

L'émergence de trois importants coronavirus pathogènes pour l'Homme au cours des 20 dernières années souligne le besoin urgent d'antiviraux puissants à large spectre capables de surmonter les défis uniques associés au traitement de cette famille de virus sans équivalent. Le blocage simultané des activités polymérase et exonucléase représente une stratégie très attrayante avec un potentiel thérapeutique inexploité. La modification décrite ici représente une stratégie qui peut être appliquée à d'autres analogues nucléosidiques, afin d'augmenter leur activité. Cette approche peut être appliquée au traitement des coronavirus existants, tout en contribuant à la préparation aux pandémies contre les pathogènes émergents.

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© Ashleigh Shannon
Figure : La modification de l’AN AT-9010, par la substitution d'un des atomes d'oxygène non pontant de l'alpha-phosphate par du soufre donne AT-9052, qui peut exister dans deux conformations isomériques (Rp et Sp). Une seule de ces conformations (AT-9052-Sp) est acceptée par la polymérase virale pour être incorporée dans l'ARN viral. Comme AT-9010, son ribose modifié (2'-fluoro, 2'-méthyl) empêche l'alignement correct du nucléotide (NTP) entrant, provoquant l'arrêt immédiat de la synthèse d'ARN. Contrairement à l'AT-9010, une fois inséré, l'AT-9052-Sp ne peut être éliminé par l'exonucléase du coronavirus.

En savoir plus :
Ashleigh Shannon, Aurélie Chazot, Mikael Feracci, Camille Falcou, Véronique Fattorini, Barbara Selisko, Steven Good, Adel Moussa, Jean-Pierre Sommadossi, François Ferron, Karine Alvarez, Bruno Canard, An exonuclease-resistant chain-terminating nucleotide analogue targeting the SARS-CoV-2 replicase complex, Nucleic Acids Research, Volume 52, Issue 3, 9 February 2024, Pages 1325–1340, https://doi.org/10.1093/nar/gkad1194

Contact

Ashleigh Shannon
Chercheuse CNRS

Laboratoire

Architecture et fonction des macromolécules biologiques - AFMB (CNRS/Aix-Marseille université) 
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