Comment notre cerveau traite-t-il les émotions vocales : catégories, ou bien dimensions ?

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Quand nous entendons une voix chargée d’émotion, notre cerveau analyse-t-il l’émotion sous forme de catégories distinctes ou bien sous forme de dimensions continues ? Une équipe internationale de scientifiques apporte une réponse surprenante à cette question grâce à une combinaison de techniques de neuroimagerie et de modèles computationnels de la voix : ce n’est pas l’un ou l’autre, mais les deux. Les émotions vocales sont initialement traitées par le cerveau sous forme de catégories séparées, avant d’être raffinées sous forme de dimensions. Les résultats sont présentés dans la revue Nature Human Behaviour

Nous savons tous à quel point la voix est efficace pour transmettre des émotions. Ce que nous savons moins, c'est si notre cerveau traite les émotions vocales comme des catégories distinctes (comme le plaisir ou la peur) ou selon un continuum de dimensions affectives (du négatif au positif). Cette nouvelle étude met un terme à ce débat de longue date en montrant que ce n’est pas soit catégories, soit dimensions, mais les deux, avec des dynamiques cérébrales assez différentes.

Un consortium international regroupant des scientifiques de France, d'Écosse, d'Allemagne, de Hollande, du Canada et des États-Unis a utilisé l’imagerie cérébrale pour mesurer l’activité du cerveau de volontaires sains adultes pendant qu'ils écoutaient de brèves vocalisations affectives représentant différentes émotions. Les propriétés affectives des vocalisations étaient contrôlées grâce à un modèle computationnel permettant de produire une large gamme d’émotions plus ou moins intenses et identifiables. Les participants ont subi chacun plusieurs sessions d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et de magnétoencéphalographie, afin de maximiser les résolutions spatiale et temporelle de la mesure d’activité cérébrale et la puissance statistique.

Des analyses sophistiquées indiquent que les catégories ou les dimensions expliquent toutes deux une bonne partie de l'activité cérébrale, mais différemment : alors que l'activité cérébrale précoce dans un délai de 2/10e de seconde reflète des catégories émotionnelles distinctes, les réponses neuronales plus tardives (après une demi-seconde) sont de plus en plus compatibles avec une représentation graduée, plus fine, des dimensions affectives.

Ces nouvelles données permettent de concilier deux visions longtemps opposées en décrivant avec un haut degré de détail spatio-temporel la dynamique représentationnelle du traitement cérébral des émotions dans la voix.

 

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© Bruno Giordano
Figure : Analyse des représentations cérébrales de l’émotion vocale. En haut à gauche : de brèves expressions affectives sont générées par synthèse vocale (morphing) entre des enregistrements correspondant à 4 émotions (colère, peur, dégout, plaisir) et une expression neutre. En haut à droite : des matrices représentant les différences d’activité cérébrale entre chaque paire de stimuli, chaque région cérébrale et chaque milliseconde sont comparées à des matrices basées sur les jugements émotionnels reflétant soit les catégories, soit les dimensions émotionnelles. En bas : représentation des régions cérébrales montrant une association avec les catégories émotionnelles de manière précoce.

 

Pour en savoir plus:

The Representational Dynamics of Perceived Voice Emotions Evolve from Categories to Dimensions.
Bruno L. Giordano, Caroline Whiting, Nikolaus Kriegeskorte, Sonja A. Kotz, Joachim Gross, Pascal Belin.
Nature Human Behaviour 11 mars 2021 ;
https://doi.org/10.1038/s41562-021-01073-0

Contact

Bruno Giordano
Chercheur CNRS à l'Institut de neurosciences de la Timone (INT) - (CNRS/Univ. Aix-Marseille)

Laboratoire

Institut de neurosciences de La timone (CNRS/Aix-Marseille Université)
27 bd Jean-Moulin