Comment le cerveau des enfants apprend-il les chiffres arabes ?

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

L’apprentissage des chiffres arabes constitue une première étape importante de l’apprentissage des mathématiques symboliques chez l’enfant. En utilisant des mesures de neuroimagerie couplées à l’apprentissage automatique, des scientifiques ont pu mettre en évidence comment ces symboles deviennent représentés dans le cerveau des enfants lors des premières années de scolarité. Ces résultats sont publiés dans la revue PLOS Biology.

Plusieurs recherches suggèrent que le cerveau humain est doté d’une capacité innée à approximer des quantités numériques sans recourir aux symboles. Ceci constitue la première voie par laquelle les jeunes enfants appréhendent les quantités non symboliques à l'école maternelle, par exemple lorsqu’ils comparent des collections d’objets. Contrairement à d'autres animaux, cependant, les humains ont également inventé des symboles pour représenter et manipuler ces quantités, comme les chiffres arabes. L’apprentissage de ces symboles constitue une première étape fondamentale vers la compréhension des mathématiques symboliques. Jusqu'à présent, on savait peu de choses sur la façon dont les représentations des chiffres arabes émergent dans le cerveau des enfants au cours des premières années de scolarité. En particulier, on ne savait pas si ces représentations symboliques transmises par la culture étaient liées aux mécanismes cérébraux anciens permettant le traitement de quantités non symboliques.

Pour répondre à ces questions, les scientifiques ont mené une expérience d'imagerie cérébrale avec 89 enfants, qui étaient soit en grande section de maternelle (5 ans) soit en CE2 (8 ans). Dans un scanner d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), les enfants visualisaient des séries de nuages de points et de chiffres arabes. Les scientifiques ont utilisé une technique appelée décodage par apprentissage automatique pour identifier les représentations cérébrales des nuages de points et des chiffres chez les enfants. Ils ont utilisé la même technique pour évaluer si des mécanismes cérébraux identiques représentaient les nuages de points et les chiffres chez les enfants, et si cela changeait avec l'âge.

Les résultats ont montré que les chiffres arabes et les nuages de points étaient représentés dans un vaste réseau de régions corticales, tant chez les enfants de 5 ans que chez ceux de 8 ans. Très probablement en raison de l'éducation, ces représentations se développent considérablement entre 5 et 8 ans, notamment dans les régions du cortex préfrontal. Le décodage par apprentissage automatique a notamment révélé qu'une région du cortex pariétal inférieur représentait à la fois les nuages de points et les chiffres chez les enfants de 5 ans. Toutefois, ce n'était plus le cas chez les enfants de 8 ans, pour lesquels les réseaux cérébraux représentant les nuages de points et les chiffres étaient largement séparés. Ces résultats suggèrent que les enfants exploitent probablement des mécanismes préexistants permettant le traitement des quantités non symboliques lorsqu'ils commencent à apprendre les chiffres arabes. Cependant, les représentations cérébrales des quantités symboliques deviennent indépendantes au cours des premières années d'enseignement formel des mathématiques. Cela suggère qu'avec l'éducation, les symboles numériques peuvent s'éloigner progressivement des représentations numériques non symboliques que les humains partagent avec d'autres animaux. Ces résultats apportent un élément de réponse à la question fondamentale de savoir comment un symbole obtient sa signification dans l’esprit humain, une question parfois dénommée « problème de l'ancrage des symboles ».

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© Nakai et al. Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY)

Figure : Chez les enfants de 5 ans, les mêmes régions du lobule pariétal inférieur droit (R. IPL) et du gyrus précentral gauche (L. PreCG) représentaient à la fois les nuages de points et les chiffres arabes (en jaune). Ce n’était plus le cas chez les enfants de 8 ans qui utilisaient des régions distinctes.

Pour en savoir plus : 
Cortical representations of numbers and non-symbolic quantities expand and segregate in children from 5 to 8 years of age.
Nakai, T., Girard, C., Longo, L., Chesnokova, H., Prado, J.
Plos Biology, 5 janvier 2023. DOI:
https://doi.org/10.1371/journal.pbio.3001935

Contact

Jérôme Prado
Chercheur CNRS

Laboratoire

Centre de recherches en neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université de Lyon)
Centre hospitalier Le Vinatier,
Bâtiment 462, Neurocampus Michel Jouvet
95 boulevard Pinel
69500 Bron