Comment la téosinte est devenue une "mauvaise herbe" en Europe grâce à des échanges génétiques avec le maïs cultivé

Résultats scientifiques Biologie végétale

Les téosintes sont des graminées endémiques du Mexique appartenant à la même espèce que le maïs cultivé. Des populations adventices de téosintes se sont établies en France et en Espagne. L’étude de leurs caractéristiques génétiques a mis en évidence une forte introgression génétique par le maïs, qui a permis aux téosintes d’acquérir un allèle de précocité de floraison, ainsi qu’un allèle de résistance à des herbicides. Ces résultats démontrent le rôle des processus d’hybridation dans la naturalisation d’une espèce exotique introduite.

L'introgression génétique est le résultat du transfert de matériel génétique par hybridation entre des individus donneurs et des individus receveurs de la même espèce ou d’une sous-espèce proche. Elle se caractérise par la présence dans le génome de ces derniers de régions héritées des individus donneurs. L’introgression peut jouer un rôle important pour l’établissement d’une espèce envahissante dans un nouvel environnement, en permettant d’acquérir rapidement des caractères avantageux déjà présents chez une espèce localement adaptée. Un cas particulier est l’introgression entre les formes sauvages et les formes domestiques apparentées. Chez les plantes, l'hybridation entre formes sauvages et domestiques peut engendrer une plante adventice (“mauvaise herbe”) qui possède à la fois des adaptations au milieu cultivé (par exemple, un mimétisme avec la plante cultivée) et des caractères hérités du parent sauvage qui favorisent sa prolifération et sa persistance (par exemple, la production de nombreuses graines facilement dispersées).

Les téosintes annuelles sont des graminées endémiques du Mexique qui sont les plus proches apparentées sauvages du maïs cultivé (Zea mays ssp mays). Parmi elles, on distingue deux sous-espèces : la sous-espèce parviglumis, de basse altitude, à partir de laquelle le maïs a été domestiqué et considérée comme son « ancêtre » ; et la sous-espèce mexicana, des hauts plateaux mexicains. Il est établi que des échanges génétiques depuis la téosinte mexicana vers le maïs cultivé ont contribué à l’adaptation de variétés traditionnelles de maïs aux conditions climatiques de haute altitude. Récemment, la présence de populations de téosintes a été signalée dans les cultures de maïs en France et en Espagne. Ces populations sont des adventices, elles sont capables de se reproduire et se maintenir dans les parcelles cultivées malgré des tentatives d’éradication.

Dans cette étude, les chercheurs se sont interrogés sur l’origine de ces téosintes et l’adaptation de ces plantes tropicales au climat tempéré de nos latitudes. Ils ont étudié la variation génétique le long des génomes des téosintes françaises et espagnoles et l’ont comparée avec celle de téosintes du Mexique et de lignées de maïs d’Amérique Centrale et des régions tempérées. Les chercheurs ont montré que les téosintes européennes sont plus proches génétiquement de la sous-espèce mexicana parmi les téosintes mexicaines. Les génomes des téosintes européennes ont aussi des régions héritées de variétés de maïs tempérées (12% du génome en moyenne chez les téosintes françaises). Parmi ces régions, deux ont été identifiées comme contenant des gènes qui ont pu contribuer à l’établissement des téosintes en France.

La première région contient le gène ZCN8, un gène majeur de précocité de floraison. Ce gène a été sélectionné chez le maïs pour obtenir des variétés précoces pouvant être cultivées sous les latitudes tempérées. Les téosintes mexicana du Mexique ne fleurissent pas, ou très tardivement, dans les conditions de photopériode longue qui prévalent aux latitudes européennes. Au contraire, les téosintes établies en France ont une période de floraison synchrone avec celle du maïs. Cette adaptation a très probablement été acquise grâce à l’introgression de la forme (allèle) précoce du gène ZCN8 et possiblement d’autres gènes qui restent à identifier (la précocité de floraison est un caractère très complexe, dont le déterminisme implique de très nombreux gènes).

La seconde région introgressée contient une forme mutante du gène ACC1 provenant de variétés de maïs tolérantes à un herbicide. La présence en forte fréquence de ce gène dans les populations de téosintes françaises leur confère une résistance à des herbicides anti-graminées couramment utilisés.

Le cas de la téosinte décrit dans cette étude permet de mieux comprendre l’évolution des plantes adventices apparentées aux cultures et l’équilibre complexe entre le maintien du caractère adventice et l’incorporation de caractères favorables d’origine domestique. Il met aussi en lumière la réciprocité des relations entre plantes sauvages et cultivées. Alors que la téosinte mexicana a contribué anciennement à l’adaptation du maïs cultivé à de nouvelles conditions climatiques d’altitude, on observe aujourd’hui à la faveur d’un événement d’introduction accidentel que les échanges génétiques avec le maïs lui permettent à son tour de s’adapter à un nouvel environnement.

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© Valérie Le Corre et Christophe Délye
Figure : A gauche, plantes de téosinte dans une parcelle cultivée en soja (France, région Nouvelle Aquitaine, 2019). Le soja est, après le maïs, la culture dans laquelle les téosintes sont le plus souvent présentes. Au centre, un épi de téosinte typique, constitué d’une seule rangée de grains soudés les uns aux autres. A droite, deux épis comprenant plusieurs rangées de grains, portés par des plantes issues d’hybridation spontanée avec le maïs cultivé. Ces épis hybrides s’observent en faible fréquence dans les populations de téosintes en France.

 
Pour en savoir plus

Adaptive introgression from maize has facilitated the establishment of teosinte as a noxious weed in Europe.
Le Corre V, Siol M, Vigouroux Y, Tenaillon MI, Délye C.
Proc Natl Acad Sci U S A. 2020 Sep 28:202006633. doi: 10.1073/pnas.2006633117

Contact

Valérie Le Corre
Chercheuse Inrae au laboratoire Agroécologie
Maud Tenaillon
Chercheuse CNRS au laboratoire Génétique quantitative et évolution - Le Moulon

Laboratoires

Laboratoire agroécologie (INRAE, Agrosup Dijon, Université de Bourgogne Franche-Comté)
INRA, Centre de Dijon
17 rue Sully, BP 86510
21065 DIJON Cédex
France

Laboratoire Génétique quantitative et évolution - Le Moulon (INRAE, Université Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech)
Ferme du Moulon
91190 Gif-sur-Yvette
France