Comment la faim modifie nos comportements : une plongée dans le cerveau de la mouche
Nos états internes, comme la faim ou la soif, influencent bien plus que notre envie de manger ou boire. Ils peuvent modifier nos décisions, même dans des situations sans rapport avec l’alimentation. Dans une étude publiée dans Nature Communications, des scientifiques montrent comment, chez la mouche drosophile, ces états agissent sur des circuits cérébraux précis, influençant les comportements face au danger.
Quand la faim change notre façon de réagir au danger
Il est aujourd’hui bien établi que notre état nutritionnel ne détermine pas seulement notre appétit, mais peut aussi influencer d’autres types de décisions, comme la prise de risques. Par exemple, être affamé peut pousser à agir de manière plus audacieuse, même dans des contextes risqués. Mais les mécanismes par lesquels les signaux externes comme la faim ou la soif modifient notre cerveau et nos comportements restent encore mal compris.
Pour avancer dans cette compréhension, les scientifiques doivent être en mesure de cartographier les connexions entre les neurones du cerveau, d'enregistrer leur fonction et leurs interactions et voir comment elles sont modulées par des signaux internes tels que les hormones circulantes ou les molécules libérées dans le cerveau en fonction de l'état de l’organisme. Et ensuite mesurer l’impact de ces variations sur le comportement. Etudier cela directement sur le cerveau des mammifères est très complexe et nous manquons de dispositifs expérimentaux.
Le régime alimentaire influence le comportement de la mouche drosophile
Pour contourner ces obstacles, les scientifiques, dans un article publié dans la revue Nature Communications, ont choisi un modèle beaucoup plus simple, la drosophile ou mouche du vinaigre et plus précisément sa larve dont le cerveau compact est très accessible, permettant l’étude en détail des circuits neuronaux.
En utilisant une carte représentant l’ensemble des connexions entre tous les neurones du cerveau de la larve de drosophile obtenue à partir d’images de microscopie électronique, les scientifiques ont pu identifier les neurones qui transmettent les informations sur l’état interne (comme la faim) de ceux qui contrôlent les comportements défensifs, comme le sursaut ou la fuite.
Grâce à une technique d’imagerie qui permet de suivre, sur la larve vivante, l’activité des neurones, ils ont pu montrer que celle-ci est influencée par l’état alimentaire : lorsque les larves sont affamées, l’activité des neurones qui déclenchent le sursaut diminue, tandis que celle des neurones qui favorisent la fuite augmentent.
Ce changement rend les larves plus enclines à fuir qu’à sursauter, montrant que leur état interne oriente leur stratégie face au danger.
Les scientifiques ont aussi montré que cette modulation est en partie régulée par des neuropeptides, c’est-à-dire des petites protéines produites par les neurones et qui servent à transmettre l’information d’un neurone à l’autre, homologues du neuropeptide Y impliqué dans le comportement alimentaire chez les mammifères dont l’homme.
En manipulant l’activité de ces neurones, les scientifiques ont pu mettre en évidence des changements clairs dans le comportement des larves. Cela montre également que certains neurones, organisés en circuits d’inhibition réciproque (où des neurones s’inhibent mutuellement), sont capables de combiner des informations venant de l’environnement et de l’état interne de l’organisme pour arbitrer entre différents comportements. Cette organisation permet au cerveau de choisir de manière flexible la réponse la plus adaptée à la situation du moment.
Dans l'ensemble, ce travail a permis de décrypter à l’échelle moléculaire et cellulaire comment la faim peut influencer des comportements sans lien direct avec l’alimentation.

Figure : La modulation des neurones inhibiteurs réciproquement connectés du circuit de décision, par l’état alimentaire (ici en régime en sucre) biaisent les décisions sensorimotrices en réponse à un stimulus mécanique aversif vers moins de « Hunch » (type de réponse de sursaut) et plus de « Head Cast » (type de réponse de fuite). L’information sur le changement de l’état alimentaire est apportée au circuit de décision par les neuropeptides NPF (neuropeptide F) et short neuropeptides F), tous les deux homologues du neuropeptide Y chez les mammifères. De plus, les neurones descendants qui sécrètent le NPF sont connectés à l’un des neurones inhibiteurs.
En savoir plus : de Tredern, E., Manceau, D., Blanc, A. et al. Feeding state-dependent neuropeptidergic modulation of reciprocally interconnected inhibitory neurons biases sensorimotor decisions in Drosophila. Nat Commun 16, 8198 (2025). https://doi.org/10.1038/s41467-025-61805-y
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