Chez les singes vervets, les migrants sont sources d’information

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Une étude publiée dans eLife suggère que, chez le singe vervet, espèce où les femelles restent toute leur vie dans le même groupe social, les mâles migrants peuvent importer de nouvelles habitudes alimentaires et participer à leur diffusion dans leur nouveau groupe. Ces résultats sont issus d’une expérience menée sur le terrain au cours de trois années et impliquant des cacahuètes, une nourriture qui était inconnue de certains singes.

Dans le monde moderne, la plupart des populations animales sont confrontées à des changements environnementaux relativement rapides dus à l'activité humaine. L'acquisition de comportements culturels peut permettre aux groupes et aux populations de s'adapter assez rapidement, sans dépendre de l'adaptation génétique. L'émergence des cultures animales repose sur l'innovation et une transmission sociale efficaces. L'innovation a joué un rôle central dans l'évolution humaine et les facteurs liés à son émergence chez d'autres espèces animales sont peu connus. La richesse de la culture humaine a été nourrie par les échanges migratoires entre les peuples, mais la possibilité que des individus migrants puissent agir comme porteurs d'informations nouvelles chez les animaux est peu abordée. Une nouvelle étude publiée dans eLife s’est intéressée à ce sujet.

Echanges migratoires et enrichissement culturel chez les singes vervets
 

Le ‘INkawu Vervet Project’ situé en Afrique du Sud accueille des chercheurs qui y étudient le singe vervet, vivant en groupes multimâles-multifemelles allant d’une dizaine à environ 80 individus. C’est une espèce à phylopatrie femelle c’est-à-dire que les femelles restent toute leur vie dans leur groupe et en forment le cœur social alors que les mâles, quittent leur groupe natal au moment de leur maturité sexuelle et se dispersent pour intégrer un nouveau groupe, et cela plusieurs fois au cours de leur vie. L’équipe y a mené une expérience dite de ‘diffusion ouverte’ au sein de cinq groupes de singes vervets voisins. Cette expérience consistait à proposer deux bacs remplis d’une nourriture inédite - des cacahuètes dans leur coquille - tôt le matin sur le site de repos des singes. Ces derniers étaient libres de venir participer à l’expérience à leur réveil. Les cacahuètes représentaient une nourriture inconnue à haute valeur nutritive que les singes vervets ne trouvent pas dans leur environnement naturel. Les singes étant néophobes, ils ne consomment pas spontanément un aliment inconnu et doivent apprendre des autres qu’il n’y a pas de risque à le consommer. L’expérience s’est échelonnée sur trois ans au cours desquels des dispersions naturelles de mâles entre les groupes d’étude ont eu lieu, de sorte que certains mâles ayant changé de groupe connaissaient les cacahuètes lorsque d’autres n’avaient pas cet avantage. Les scientifiques ont ainsi observé quels étaient les singes qui se sont intéressés en premier aux cacahuètes – qui ont innové - et réussi à les extraire de leur coquille et quels étaient ceux qui ont ensuite adopté le nouvel aliment, et dans quelle mesure.  

Les vervets migrants moteurs d’adaptations comportementales aux changements environnementaux
 

L'équipe a fait plusieurs découvertes frappantes : i) lorsque l’innovation – consommation des cacahuètes – avait lieu lors de la première exposition aux cacahuètes, elle était faite par les mâles migrants ; ii)  la consommation de la nouvelle nourriture se diffusait plus rapidement et à un plus grand nombre d’individus lorsque l’innovateur était un nouveau mâle migrant que lorsque c’était un juvénile ou un enfant, iii) la consommation de cacahuètes se diffusait principalement à des juvéniles et des individus de haut rang social et iv) des comportements de contacts de museaux étaient utilisés principalement par des individus n’ayant jamais consommé de cacahuètes pour acquérir des informations relatives à la nouvelle nourriture.

Les résultats de cette étude supposent que, chez cette espèce, les mâles adultes qui se dispersent sont capables de générer et d’importer de nouvelles habitudes alimentaires. Cela suggère le rôle potentiel des migrants comme initiateurs et transmetteurs de nouvelles adaptations comportementales aux changements environnementaux. Au-delà du flux génétique qu’ils génèrent, les mâles migrants pourraient aussi être importants pour la mixité culturelle en agissant en tant que catalyseurs de transmission sociale.

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© Jose van der Geest
Figure : Singes vervets dégustant des cacahuètes

En savoir plus :
Pooja Dongre, Gaëlle Lanté, Mathieu Cantat, Charlotte Canteloup, Erica van de Waal (2024). Role of immigrant males and muzzle contacts in the uptake of a novel food by wild vervet monkeys eLife 13:e76486. https://doi.org/10.7554/eLife.76486

Contact

Charlotte Canteloup
Chargée de recherche au CNRS
Erica van de Waal
Professeur assistante à l’Université de Lausanne

Laboratoires

Laboratoire de neurosciences cognitives et adaptatives - LNCA (CNRS/Université de Strasbourg) 
12 rue Goethe,
67000 Strasbourg

Département d'écologie et évolution, Université de Lausanne 
Unil Sorge, Biophore,
1015 Lausanne, Suisse