Automédication collective chez les fourmis

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Les animaux peuvent lutter contre les parasites en modifiant leur choix alimentaire pour renforcer leur système immunitaire. Les parasites en contrepartie peuvent manipuler les choix alimentaires de leur hôte pour obtenir les nutriments essentiels à leur multiplication. Des résultats publiés dans la revue Current Biology révèlent que la modification des choix alimentaires observée chez des fourmis infectées par un champignon, n’est pas dictée par le parasite, mais par une forme d’automédication collective.

La nutrition est un facteur majeur qui influence les interactions hôte-parasite. Une infection parasitaire a un coût nutritionnel pour l’hôte car l’activation de la réponse immunitaire pour se défendre face à un parasite est couteuse en acides aminés (briques constituant les protéines). L’hôte pourrait donc chercher à adapter ses choix alimentaires afin de compenser ces besoins en acides aminés. Le parasite, quant à lui, a des besoins nutritionnels qui lui sont propres. Il pourrait donc être enclin à manipuler le comportement de l’hôte et l’orienter vers des sources de nourritures qui lui seraient bénéfiques. Dans cette étude, les scientifiques ont étudié le rôle de la nutrition dans un système hôte-parasite : la fourmi d’Argentine, Linepithema humile, et le champignon entomopathogène, Metarhizium brunneum.

Besoins nutritionnels du champignon

Les besoins nutritionnels des parasites sont peu connus car il est souvent difficile de les entretenir en dehors de leur hôte. Tout d'abord, les scientifiques ont cherché à identifier le régime optimal du champignon en le cultivant sur 18 régimes alimentaires de différentes compositions (AA :S) en acides aminés (AA) et sucre (S), d’un régime contenant deux fois moins de sucre que d’acide aminé (2 :1) à un régime contenant deux cent fois plus de sucre que d’acides aminés (1 :199). Elles ont établi que le champignon maximise sa croissance et sa reproduction sur un régime relativement riche en acides aminés (1 :4). Afin de voir si le champignon est capable de recomposer ce régime optimal pour sa croissance à partir de deux régimes déséquilibrés mais complémentaires, elles ont offert au champignon le choix entre : un régime très riche en acides aminés (2 :1) et un régime très riche en sucre (1:199). Elles ont constaté que le champignon est capable de satisfaire ses besoins nutritionnels et de maximiser sa croissance, révélant sa capacité à faire face à des défis nutritionnels complexes bien qu’il soit dépourvu de système nerveux.

Besoins nutritionnels des fourmis

Dans une étude précédente, les scientifiques avaient démontré que les fourmis d’Argentine vivent moins longtemps sur des régimes riches en acides aminés.  Dans cette étude, elles ont évalué la survie des fourmis infectées et non infectées sur deux régimes alimentaires : un régime riche en sucre (1 :199) et le régime optimal du champignon (1 :4). Les scientifiques ont confirmé que le régime optimal du champignon plus riche en acide aminés réduit drastiquement la durée de vie des fourmis non infectées contrairement à un régime riche en sucre (1 :199). Elles ont en revanche démontré que la durée de vie des fourmis infectées diminue en réponse à l’infection mais n’est pas affectée par le régime alimentaire, les fourmis infectées vivant aussi longtemps sur un régime riche en sucre que sur le régime optimal du champignon. L’hypothèse des scientifiques est que sur le régime optimal du champignon, la toxicité des acides aminés et neutralisée par leur utilisation pour la réponse immunitaire.

Un choix collectif pour le régime optimal du champignon

Ensuite, les scientifiques ont souhaité connaître quel serait le choix alimentaire de colonie de fourmis infectées et non infectées face à un régime riche en sucre (1 :199) et le régime optimal du champignon (1 :4). Elles ont révélé que les colonies non infectées choisissent le régime riche en sucre, tandis que les colonies de fourmis infectées choisissent le régime optimal du champignon, et ce même si le pourcentage de fourmis infectées dans la colonie ne représente que 10% de la colonie.

De la fourmi ou du champignon qui décide ?

Enfin, afin de savoir si le choix alimentaire des colonies de fourmis infectées est le résultat d’une manipulation du champignon pour maximiser sa croissance ou d’une compensation nutritionnelle des fourmis pour couvrir les coûts énergétiques en acides aminés de la réponse immunitaire, les auteures ont induit une réponse immunitaire chez les fourmis en l’absence du parasite. Pour ce faire, elles ont injecté les fourmis avec des cellules de champignon inertes. Elles ont démontré que cette injection et l’infection parasitaire conduisent toutes deux à la surexpression de gènes impliqués dans la réponse immunitaire.

Elles ont ensuite révélé que les fourmis injectées avec des cellules de champignon inertes choisissent le régime optimal du champignon, tout comme les fourmis infectées. Ces résultats attestent que les fourmis parasitées choisissent le régime optimal du champignon pour renforcer leur système immunitaire et non en réponse à une manipulation par le champignon. Cette étude révèle donc une forme d'automédication collective. En effet, les fourmis infectées choisissent collectivement un régime qui a un coût à long terme pour la survie des fourmis non infectées mais qui est bénéfique à court terme pour la réponse immunitaire des fourmis infectées.

figure
© Sergio Ibarra & Audrey Dussutour
Figure : Champignon sur le régime optimal riche en acides aminés (en haut à gauche), fourmis non infectées choisissant un régime riche en sucre (en haut à droite), fourmis infectées choisissant le régime optimal du champignon riche en acides aminés (au centre), fourmi injectée avec des cellules de champignon inerte (en bas à droite).

En savoir plus :
Csata E, Pérez-Escudero A, Laury E, Leitner H, Latil G, Heinze J, Simpson SJ, Cremer S, Dussutour A. Fungal infection alters collective nutritional intake of ant colonies Current Biology. :February 01, 2024. DOI:https://doi.org/10.1016/j.cub.2024.01.017

Contact

Audrey Dussutour
Directrice de recherche

Laboratoire

Centre de recherches sur la cognition animale - CRCA (CNRS/Université de Toulouse III)
Centre de biologie intégrative - CBI
169 avenue Marianne Grunberg-Maranago
31062 Toulouse, FRANCE