Antidépresseurs dans la douleur neuropathique : deux mécanismes d’action

Résultats scientifiques Pharmacologie et imagerie

Certains antidépresseurs permettent de traiter les douleurs neuropathiques, douleurs chroniques dues à une lésion ou une pathologie du système nerveux. Cette étude met en évidence deux mécanismes par lesquels les antidépresseurs soulagent ces douleurs. L’un agit sur la moelle épinière, et l’autre sur les ganglions rachidiens et la neuro-inflammation provoquée par l’atteinte nerveuse. Ces travaux sont publiés dans The Journal of Neuroscience.

Comprendre comment agissent les médicaments peut non seulement aider à mieux comprendre la pathologie qu’ils ciblent, mais aussi favoriser le développement de nouveaux traitements. Dans les années 1960, il a été observé de façon fortuite qu’un antidépresseur pouvait soulager la douleur neuropathique, douleur en général chronique et faisant suite à une lésion ou une pathologie du système nerveux. Dans les années 1970-1980 cette observation a été confirmée par des essais cliniques et certains antidépresseurs sont depuis parmi les traitements recommandés en première intention contre la douleur neuropathique. Cette action thérapeutique étant indépendante de celle sur la dépression, la question du mécanisme par lequel la douleur est soulagée se pose.

Les chercheurs ont ici mis en évidence deux mécanismes thérapeutiques en grande partie indépendants, qui sont partagés par des antidépresseurs de familles chimiques différentes et qui conduisent au soulagement d’un des symptômes de la douleur neuropathique : l’allodynie. Celle-ci correspond à la présence d’une douleur en réponse à un stimulus normalement non douloureux, comme le toucher.

L’action des antidépresseurs sur ce symptôme peut être retrouvée dans un modèle de douleur neuropathique développé chez la souris par légère compression du nerf sciatique. Grâce à ce modèle animal, il est montré que deux des antidépresseurs les plus prescrits contre la douleur, la duloxétine et l’amitriptyline, agissent d’une part via la moelle épinière et d’autre part via les ganglions rachidiens et la neuroinflammation provoquée par l’atteinte nerveuse.

Ces mécanismes sont au départ liés à la capacité des antidépresseurs à bloquer le recyclage par les neurones de la noradrénaline, conduisant ainsi à l’augmentation des concentrations de ce messager chimique.

Le premier de ces mécanismes passe, au niveau de la moelle épinière, par l’action de la noradrénaline sur ses récepteurs α2 et nécessite la présence d’éléments du système opioïde, en particulier les récepteurs µ et δ. Cette action permet un soulagement rapide de l’allodynie.

Le second mécanisme conduit quant à lui à une action différée, nécessitant une à deux semaines avant de se développer. Il passe par l’action de la noradrénaline sur des récepteurs β2 présents dans les ganglions rachidiens et nécessite aussi la présence des récepteurs δ des opioïdes. L’analyse moléculaire de ce mécanisme montre qu’il permet d’inhiber la neuroinflammation faisant suite à la lésion nerveuse. L’importance de cette neuroinflammation dans la pathologie et le mécanisme thérapeutique a été confirmée en la ciblant directement   par immunothérapies dans le modèle animal, ce qui se révèle efficace pour soulager l’allodynie. Une comparaison des taux sanguins de duloxétine entre les patients et le modèle animal  complète cette étude pour en montrer la pertinence clinique.

Ces travaux éclairent pour partie les mécanismes par lesquels des médicaments d’abord connus pour leur application en psychiatrie peuvent aussi s’avérer efficaces sur certaines douleurs.

 

Image retirée.
Figure : Une analyse génomique a été effectuée sur les ganglions rachidiens dans un modèle animal de douleur neuropathique. Si le traitement chronique par la duloxétine, qui soulage l’allodynie neuropathique, se traduit par une surexpression (barres rouges) et une sous-expression (barres bleues) de certains gènes, l’action principale de ce médicament est inhibitrice sur l’expression génique (graphe du haut). Une analyse fonctionnelle de l’ensemble des gènes exprimés montre que cette inhibition concerne notamment les gènes d’une des voies de la neuroinflammation (graphe du bas, chaque trait noir représente un gène de la voie de signalisation TNFα-NFκB).
© M. Barrot

 

En savoir plus :

A dual noradrenergic mechanism for the relief of neuropathic allodynia by the antidepressant drugs duloxetine and amitriptyline.
Kremer M, Yalcin I, Goumon Y, Wurtz X, Nexon L, Daniel D, Megat S, Ceredig RA, Ernst C, Turecki G, Chavant V, Theroux JF, Lacaud A, Joganah LE, Lelievre V, Massotte D, Lutz PE, Gilsbach R, Salvat E, Barrot M.

J Neurosci. 2018 Sep 24. pii: 1004-18. doi: 10.1523/JNEUROSCI.1004-18.2018. [Epub ahead of print]