Anne-Karine Bouzier-Sore, lauréate du premier palmarès Forbes France 50 over 50

Distinctions

Dans un monde où la reconnaissance scientifique passe souvent au second plan, Anne-Karine Bouzier-Sore, directrice de recherche CNRS au Centre de Résonance Magnétique des Systèmes Biologiques (CRMSB, CNRS/Université de Bordeaux), fait une entrée remarquée dans le palmarès Forbes 50 Over 50.

« Une grande surprise », confie-t-elle encore, quelques semaines après l’annonce. Lorsqu’elle apprend qu’elle figure aux côtés de femmes aussi célèbres que médiatisées, elle doute. Une erreur ? Une illusion ? Et pourtant, c’est bien la richesse et l’engagement de son parcours scientifique et sociétal qui ont retenu l’attention du jury. Spécialiste du métabolisme cérébral, Anne-Karine Bouzier-Sore a consacré sa carrière à une hypothèse longtemps jugée surprenante : et si le lactate, considéré comme un simple déchet métabolique, était en réalité essentiel au fonctionnement du cerveau ?

Lors de son post-doc chez Pierre Magistretti et Luc Pellerin, pionniers de la navette lactate astrocyte-neurone, elle utilise les outils de biophysique qu’elle maîtrise – en particulier la spectroscopie RMN – pour démontrer que le lactate est effectivement un bon substrat pour les neurones en culture, et qu’ils le préfèrent même au glucose. De retour en France, avec un poste au CNRS en poche, elle développe les outils de RMN et d’IRM pour mettre en évidence que cette navette existe bien dans le cerveau in vivo. Le glucose reste le substrat principal du cerveau, mais il est en partie transformé en lactate par les astrocytes avant d’être transféré aux neurones. Ces résultats ont remis en question le dogme selon lequel le glucose était le substrat unique des neurones.

Mais la chercheuse ne s’arrête pas là. Avec son équipe – majoritairement féminine et construite autour de valeurs d’entraide et de complémentarité – elle s’interroge : si le lactate est un substrat énergétique pour les neurones, pourrait-il aussi avoir des propriétés neuroprotectrices, notamment après un accident ayant privé le cerveau d’énergie, comme un AVC ? Elle démontre ainsi que, chez le raton nouveau-né, l’administration de lactate protège contre les lésions de l’encéphalopathie anoxo-ischémique, l’une des principales causes de mortalité et de handicaps sévères chez le nouveau-né. À ce jour, aucun traitement pharmacologique n’existe ; le seul recours est l’hypothermie, efficace pour un bébé sur deux seulement. Ces résultats prometteurs ouvrent la voie à un projet de recherche clinique pour tester cette approche chez les nouveau-nés victimes d’encéphalopathie. « Vingt ans de travail fondamental ont permis de déboucher sur des projets de recherche appliquée et translationnelle vers la clinique », précise-t-elle.

Parallèlement à ses recherches, elle s’investit dans la vulgarisation scientifique, convaincue de la nécessité de rendre la science accessible à tous. Elle joue également du violon au sein d’un orchestre symphonique (Molto Assaï) qui donne régulièrement des concerts caritatifs – un autre moyen pour elle de contribuer à la société, au-delà du laboratoire.

« On ne fait pas de la recherche pour la reconnaissance, mais quand elle arrive, cela fait plaisir », reconnaît Anne-Karine avec un sourire. Pour elle, cette distinction symbolise aussi une victoire plus large : celle des femmes en science. C’est d’ailleurs son mari et sa fille qui l’ont poussée à candidater, convaincus qu’une voix scientifique devait figurer dans ce palmarès.

Aujourd’hui, elle espère que cette visibilité permettra d’inciter les jeunes filles et les jeunes femmes à s’engager dans une carrière scientifique et, pourquoi pas, de faciliter le financement de ses projets. « La recherche clinique est très coûteuse, et je n’ai toujours pas bouclé mon budget pour lancer ma première preuve de concept chez le nouveau-né », soupire-t-elle. Mais surtout, elle envoie un message clair : « Passé 50 ans, les femmes peuvent encore faire bouger les lignes. Dans tous les domaines. »