La symétrie acoustique comme base de la sélection du partenaire chez la drosophile

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

En utilisant des mouches mâles dont l'asymétrie alaire est altérée par différentes méthodes (environnementale, génétique, chirurgicale), les scientifiques démontrent expérimentalement une préférence des femelles pour des partenaires mâles symétriques. Cette préférence est fondée sur la perception par la femelle de la symétrie du chant de séduction des mâles généré par la vibration alternée de l'aile gauche et droite. L'étude, publiée dans la revue PNAS, met en évidence le rôle de la symétrie individuelle dans la sélection sexuelle et souligne l’utilisation d’indices sensoriels non visuels dans cette discrimination.

Lors du choix de leur partenaire, les femelles de différentes espèces pourraient utiliser la symétrie bilatérale du corps de leurs partenaires potentiels comme indice de qualité génétique. Cette hypothèse reliant stabilité du développement et sélection sexuelle a été longtemps proposée et souvent réfutée, les données empiriques en sa faveur étant peu concluantes, ou les paradigmes expérimentaux non appropriés. Par une approche expérimentale solide, les scientifiques montrent que les drosophiles femelles utilisent des indices auditifs pendant la parade nuptiale pour choisir des mâles symétriques. Cette étude établit pour la première fois des liens développementaux, comportementaux, sensoriels et évolutifs entre la symétrie bilatérale et la sélection sexuelle.

Les chercheurs ont utilisé diverses méthodes expérimentales induisant l'asymétrie des ailes (manipulations environnementale, génétique et chirurgicale), et testé la préférence des femelles pour la symétrie des mâles à l'aide d'un paradigme de choix de partenaire simple. Les résultats sont clairs : dans tous les cas, les femelles s'accouplent de préférence avec des mâles symétriques.

Pour comprendre la base sensorielle de cette sélection, les scientifiques ont répété le test du choix du partenaire en modifiant chez la femelle des modules sensoriels comme la vision, l'odorat et le son. Les femelles insensibles aux sons sont incapables de s'accoupler préférentiellement avec des mâles symétriques, soulignant l’importance des signaux auditifs dans cette sélection.

Les mâles drosophiles courtisent les femelles au travers d’un ensemble de comportements et de signaux, dont un signal sonore crée par la vibration alternée des ailes. Communément appelée "chant de cour", cette manifestation auditive est parfaitement caractérisée depuis sa découverte en 1962. Pour la première fois, les chercheurs ont analysé ce chant en segments générés séparément par l’une et l’autre des deux ailes et comparé leurs caractéristiques acoustiques. Ils montrent que certains traits spécifiques du chant sont plus asymétriques pour les mâles qui n’ont pas été choisis par les femelles (perdants) que pour ceux qui ont été choisis (gagnants). Ces fines différences acoustiques aident donc la femelle à choisir un mâle symétrique plutôt qu'un mâle asymétrique lors du choix du partenaire.

Comment cette préférence des femelles pour la symétrie est-elle maintenue ? Des femelles provenant de populations maintenues pendant plus de 80 générations en régime monogame (sans possibilité pour la femelle de choisir son partenaire) perdent la faculté de sélectionner des mâles symétriques, indiquant que le maintien du choix du partenaire semble nécessaire pour garder cette préférence. En outre, le maintien de ce choix semble être un comportement coûteux qui est perdu rapidement si la pression de sélection est supprimée.

La communication animale pendant la parade de cour est multimodale et a évolué indépendamment chez diverses espèces. Cependant, en partie à cause d’un biais établi pour la perception visuelle, les études faites sur la symétrie corporelle lors de la sélection du partenaire se sont largement concentrées sur les indices visuels. Ces nouveaux résultats soulignent l’importance des indices non visuels dans les processus de sélection sexuelle. L’utilisation d’un modèle puissant comme la drosophile ouvre également la voie à la recherche des bases sensorielles, neurales, génétiques et mécanistiques du choix du partenaire médié par la symétrie corporelle. La compréhension approfondie de ces stratégies est cruciale pour comprendre les mécanismes de développement et d’évolution des espèces.

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 © Vijendravarma et al.

Figure :  Les drosophiles mâles produisent un chant de cour en faisant vibrer alternativement leur aile gauche ou droite en fonction de leur position vis-à-vis de la femelle. Ce chant de parade a toujours été analysé comme un chant unique, mais cette étude révèle des différences droite-gauche entre certains segments du chant qui peuvent être détectées et utilisées par les femelles drosophiles pour sélectionner des mâles symétriques.

Pour en savoir plus :
Drosophila females have an acoustic preference for symmetric males.
Vijendravarma RK, Narasimha S, Steinfath E, Clemens J, Leopold P.
Proc Natl Acad Sci U S A. 21 mars 2022 doi: 10.1073/pnas.2116136119.

Contact

Roshan Kumar Vijendravarma
Chercheur CNRS

Laboratoire

Génétique et biologie du développement (CNRS/Inserm/Institut Curie/PSL/Sorbonne Université)
Institut Curie - Centre de Recherche
26, Rue d’Ulm
75248 Paris Cedex 05