Les mirusvirus, ces virus géants qui continuent à nous surprendre
Dans un article publié dans Nature Microbiology, des scientifiques dévoilent l’existence de nombreuses nouvelles lignées de mirusvirus, des virus géants qui pullulent dans les océans. Alors que la plupart des virus géants connus à ce jour répliquent leur ADN dans le cytoplasme de la cellule infectée, ils montrent que de nombreux mirusvirus ont un style de vie centré sur une réplication de leur ADN dans le noyau. Ces travaux révèlent non seulement une niche écologique majeure pour les virus à ADN dans le plancton mais aussi une histoire évolutive unique en son genre.
Les mirusvirus sont des virus à ADN aux génomes complexes, largement répandus dans les océans, les mers, les rivières et lacs du globe où ils infectent les eucaryotes unicellulaires. Leur découverte amorcée grâce à l’expédition Tara Oceans, a déjà permis en 2023 de décrire un premier groupe majeur, l’ordre Demutovirales, et de mieux comprendre l’histoire évolutive du virus de l’herpès. Elle révélait aussi l’existence d’un second genre de virus géants associé aux planctons, deux décennies après la découverte d’un premier genre : les nucleocytovirus.
Les mirusvirus forment des particules virales très différentes de celles des nucleocytovirus. Ces deux lignées ne peuvent donc pas être regroupées sous le même chapeau taxonomique. Cependant, les mirusvirus décrits dans la première étude partageaient un trait majeur avec les virus géants établis : la présence de fonctions essentielles dont des polymérases qui sont des enzymes qui permettent la réplication d’ADN viral et leur transcription directement dans le cytoplasme de leurs hôtes. Deux lignées de virus géants semblaient ainsi coexister, chacune avec un type de particule distinct, mais toutes deux centrées sur une réplication cytoplasmique.
La nouvelle étude vient bouleverser entièrement ce modèle.
Un second phylum de virus géants, riche d’une diversité insoupçonnée
Dans un article publié dans la revue Nature Microbiology, des scientifiques ont découvert de nombreuses lignées supplémentaires de mirusvirus grâce à la reconstruction puis l’analyse de plus de 1200 génomes environnementaux.
Des approches phylogénétiques leur permettent de proposer une première classification élargie : les mirusvirus constitueraient un second phylum de virus géants (après les nucleocytovirus) comprenant deux ordres majeurs supplémentaires (Okeanovirales et Styxvirales), un ordre mineur (Soporavirales), ainsi que 13 ordres plus énigmatiques qui semblent avoir une histoire évolutive surprenante par leur diversité mais pour lesquels peu de virus ont été caractérisés à ce jour.
Des mirusvirus, centrés sur le noyau et non plus sur le cytoplasme de leur hôte
Au cœur de l’étude se trouve des caractéristiques génétiques inattendues, révélant un style de vie radicalement différent pour la plupart des mirusvirus nouvellement décrits.
Absence totale de polymérases
Contrairement aux mirusvirus de Demutovirales (et à la plupart des virus géants connus), la plupart des mirusvirus nouvellement identifiés ne possèdent aucune polymérase, alors même que leurs génomes peuvent atteindre un demi-million de nucléotides. Ils dépendent donc fortement des enzymes de réplication et de transcription de la cellule hôte, des activités qui se déroulent exclusivement dans le noyau.
Présence massive d’introns du spliceosome
Autre surprise : leurs gènes sont parsemés d’introns du spliceosome, des segments d’ADN qui n’appartiennent pas aux parties codantes des gènes. Pour que les gènes produisent un ARN fonctionnel, ces introns doivent être retirés par le spliceosome, une machinerie cellulaire qui assemble les séquences codantes en un ARN mature. Cette étape se déroule exclusivement dans le noyau, confirmant un mode de réplication nucléaire.
Des milliers d’endonucléases intégrées dans les introns
Les chercheurs ont également découvert que ces introns contiennent des milliers de gènes d’endonucléases, une combinaison jamais observée auparavant, même chez les eucaryotes. Les endonucléases sont des enzymes capables de couper l’ADN à l’intérieur d’une séquence (par opposition aux exonucléases, qui coupent aux extrémités). Chez ces mirusvirus, leur présence dans les introns suggère des mécanismes de mobilité génétique et de remodelage du génome particulièrement actifs, renforçant l’idée d’une histoire évolutive très dynamique de leur richesse intronique.
Des questions majeures encore ouvertes
Cette étude révèle donc que le noyau des eucaryotes unicellulaires, des organismes clés du plancton qui jouent un rôle écologique et évolutif considérable en particulier dans le contexte du réchauffement climatique, est une niche pour la réplication de nombreux virus à ADN aux génomes complexes. Ces mirusvirus changent donc notre compréhension du fonctionnement du plancton en général, et des interactions cellule-virus en particulier.
De nombreuses interrogations demeurent :
- Comment ces virus ont-ils évolué vers deux styles de vie distincts ? L’un centré sur le cytoplasme (Demutovirales), l’autre sur le noyau (Okeanovirales et Styxvirales).
- Quels sont leurs principaux hôtes ? Et comment influencent-ils la physiologie des eucaryotes unicellulaires à grande échelle ?
- Des co-infections noyau + cytoplasme sont-elles fréquentes ? Une cellule peut-elle être infectée à la fois par un virus géant cytoplasmique et un mirusvirus nucléaire ? Cela favorise-t-il des échanges de gènes entre virus, notamment avec les nucleocytovirus ?
Plusieurs équipes internationales travaillent déjà sur ces questions, et les années à venir devraient éclairer davantage le rôle et l’évolution de ces virus géants étonnants.
Figure : Un océan de virus géants infectant le noyau
En savoir plus : Medvedeva, S., Guyet, U., Pelletier, E. et al. Widespread and intron-rich mirusviruses are predicted to reproduce in nuclei of unicellular eukaryotes. Nat Microbiol (2025). https://doi.org/10.1038/s41564-025-02190-6
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Génomique Métabolique - GM (CEA/CNRS/Université d'Evry)
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